Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/479

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un ruisseau qui n’ait un barrage fixe ou mobile et qui ne soit approprié au flottage. Le départ de la première éclusée de bois sur la Murg est un spectacle qu’on donne chaque année aux baigneurs de Bade, et la solennité de cette opération est une preuve de la haute importance qu’on y attache.

Lorsque les bois, jusqu’alors abandonnés à eux-mêmes, sont arrivés au point où la rivière commence à être navigable, ils sont retirés de l’eau et rassemblés en trains. Ces trains, conduits par un ou plusieurs hommes, sont, au début de la course, formés de quelques pièces seulement ; ils augmentent à mesure qu’ils avancent et que la rivière devient plus profonde. Ceux qui sont apportés par les divers affluens se réunissent peu à peu et finissent par former ces radeaux qu’on voit arriver à Paris, et dont le passage sous les ponts est toujours pour les promeneurs un vif objet de curiosité. Sur le Rhin, les trains, formés de troncs de sapins, ont souvent 300 mètres de longueur et renferment jusqu’à 15,000 mètres cubes de bois. Ils sont dirigés par une vingtaine d’hommes en gilet rouge, en veste blanche, en bonnet de loutre, armés d’immenses gaffes, dont ils se servent avec une grande adresse pour éviter les tourbillons et les bancs de sable de ce fleuve capricieux. Ils conduisent ainsi jusque dans les chantiers de la Hollande, où ils seront transformés en navires marchands, les magnifiques arbres qui tapissaient les vallées ombreuses de la Forêt-Noire.

La production annuelle du domaine forestier de la France, dont l’étendue, d’après M. Maurice Block[1], est de 8,804,551 hectares, s’élève à 35 millions de stères environ, valant sur pied 206 millions de francs, et sur les lieux de consommation plus de 500 millions. Ce chiffre ne représente cependant qu’une partie de la production totale, car il ne comprend pas les bois fournis par les haies, parcs et jardins, qu’il est impossible d’évaluer, même approximativement. Quant à la consommation, elle ne fait que s’accroître d’année en année. Le prix des bois de service a doublé depuis 1814 ; dans le bassin de la Seine, le mètre cube de chêne s’est élevé de 32 à 60 fr. ; le bois d’industrie a suivi la même progression et a passé de 15 à 28 francs. Le chauffage est resté, ou peu s’en faut, stationnaire. C’est aux constructions de toute nature, à l’accroissement de notre matériel naval, militaire et marchand, à l’exécution du réseau des chemins de fer, à toutes ces choses enfin qui se résument dans le seul mot de progrès, qu’il faut attribuer ce résultat, En même temps que les prix haussaient, sur le marché intérieur, les importations de bois étrangers augmentaient dans une énorme proportion. Ces importations,

  1. Statistique de la France comparée avec les autres états de l’Europe. Paris, 1860.