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de tous côtés les bourses d’Europe se sont mises à monter. Nos protectionistes et nos libre échangistes, qui affichent des prétentions si patriotiques dans leurs contestations mutuelles, feraient bien assurément de prendre garde à ce monopole moral et politique dont l’Angleterre a pu s’emparer depuis le déclin des institutions libres en France. Les partisans de la libre concurrence devraient aspirer à rendre à notre pays le moyen d’entrer en compétition pacifique avec nos rivaux dans l’élaboration de la pensée publique ; les partisans de la production nationale devraient déplorer passionnément l’infériorité où nous sommes placés à un point de vue si important. Le gouvernement du monde moderne appartient à l’activité de l’esprit et à la diffusion de la parole. En abdiquant l’initiative qu’elle était autrefois si fière d’exercer dans les controverses européennes, en se fermant la bouche ou en se résignant à ne parler qu’après coup, la France perd volontairement une grande part de son influence naturelle. Il serait temps d’y aviser. Parler après coup, tel est notre lot, quand l’occasion de parler nous est par hasard rendue, et quand, par un hasard plus rare, nous retrouvons assez d’énergie pour prendre la parole. Dans ces affaires d’Italie qui nous émeuvent diversement, et qui couvrent notre avenir d’incertitudes, qu’avons-nous fait, sinon de parler après le fait accompli, c’est-à-dire lorsque nos opinions ne pouvaient plus rien sur les événemens ? Dans la question du traité de commerce avec l’Angleterre, qu’avons-nous fait encore ? Tout était consommé, notre système commercial était irrévocablement changé, lorsqu’il nous a été donné de critiquer ou de justifier les nouveaux principes de notre politique commerciale. Hier encore, au sénat, à propos d’une pétition, un grand débat s’est engagé sur une des dispositions complémentaires de ce traité de commerce. Il s’agissait de l’abaissement du droit sur l’introduction des poissons provenant des pêcheries étrangères. Les amiraux qui font partie du sénat ont pris avec une conviction profonde et chaleureuse la défense des pétitionnaires. Ils nous ont donné, par la vigueur de leur argumentation et l’élévation de leurs sentimens, l’idée de ce que pourrait être dans nos assemblées la grande et noble discussion de nos intérêts et de nos affaires, si la discussion, surtout se produisant à temps, avait quelque chance d’influer sur les décisions du gouvernement. Le discours de l’amiral Cécille a été d’une solidité remarquable. Le rapport et les discours de M. Romain-Desfosses sont des modèles d’argumentation substantielle et lucide, et le brave et habile amiral s’est élevé par momens jusqu’à la véritable éloquence. L’amiral Rigault de Genouilly a ému le sénat par les accens les plus généreux. La thèse de nos illustres marins était simple. Nos pêcheurs, disent-ils, ceux de la Manche surtout, sont un des meilleurs élémens de notre inscription maritime. L’inscription, grâce à laquelle la France constitue sa réserve navale et peut aspirer à une puissance maritime efficace, place nos hommes de mer sous un rude régime d’exception ; par justice et par politique, on leur doit une compensation aux rigueurs de ce régime, et cette compensation,