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Razzoli, Budelli, Barettini, veulent avoir des nouvelles de la terre ferme, ils montent dans leur barque et vont attendre à Maddalena le passage du bateau à vapeur. C’est donc vers Maddalena que se dirigeait notre voyageuse, c’est de là qu’elle devait aller voir au fond de sa retraite celui qu’elle appelle le Cincinnatus de la révolution italienne.

Faut-il raconter ici tout le voyage d’Elpis Melena ? Ce serait nous écarter beaucoup du sujet particulier de cette étude, car si la fantasque amazone est sincèrement impatiente d’aller demander à Garibaldi la suite de son manuscrit, d’un autre côté elle est si heureuse d’être à cheval qu’elle profite de l’occasion pour faire l’école buissonnière. La voilà partie de Rome, en 1857, par une radieuse matinée, le jour de l’Ascension. Un seul domestique l’accompagne, le brave et fidèle Giuseppe, ancien dragon du pape, qui ne saura jamais porter la livrée, servir à table, annoncer dans un salon, mais qui, pour soigner les chevaux, est bien certainement le plus habile des enfans de l’Apennin. Deux lévriers complètent la caravane. Où va donc Elpîs Melena ? à Civita-Vecchia, à Livourne ou à Gênes ? Cherche-t-elle un port où elle pourra s’embarquer pour l’Ile Maddalena ? Non ; elle va prendre les eaux d’Aix en Savoie. De Rome à Aix, elle parcourt à cheval toute l’Italie du centre et du nord ; elle traverse les Romagnes, l’Ombrie, l’Emilie, la Toscane, les duchés de Parme et de Modène, le Piémont, et, comme elle se soucie fort peu de la ligne droite, comme elle cherche partout les curiosités les plus secrètes de ce merveilleux pays, on oublie sans cesse avec elle que le but véritable de son voyage est une visite au solitaire de Caprera. Il y aurait sans doute plaisir et profit à la suivre, car son récit est vif, spirituel et plein de détails inattendus. Les jolis paysages qu’elle dessine en courant, les scènes de mœurs qu’elle décrit attestent une main facile et légère. Son érudition, très étendue, très curieuse et armée de citations empruntées à toutes les langues, n’a rien de pédantesque ; je lui reprocherais plutôt le pédantisme contraire, le pédantisme de la frivolité, l’affectation de la désinvolture, et çà et là certains enthousiasmes trop peu sérieux qui donneraient une fâcheuse idée de son goût ; mais je ne veux ni refaire ni critiquer toute cette partie de son expédition : j’ai hâte d’aborder avec elle dans l’île de Garibaldi.

Il faut cependant connaître notre compagne de voyage. De ces cent et un jours à cheval, j’en raconterai seulement un ou deux. À la fin d’une journée de marche le long des côtes de l’Adriatique, elle arrive à Sinigaglia. Sinigaglia est un joli petit port, très calme, très silencieux pendant la plus grande partie de l’année, mais fort animé du 15 août au 15 septembre, au moment de cette foire célèbre qui