Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/595

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les Razzoli, les Budelli, puis on entre dans une espèce de bassin qui est comme le centre de ce petit archipel, A droite apparaissent San-Stefano avec les forts qui le couronnent, en face Caprera et son mur de granit que dominent les montagnes de la Sardaigne ; à gauche enfin les poétiques rivages de l’île Maddalena, ainsi que la petite ville du même nom doucement assise aux bords de sa paisible baie. Encore quelques minutes, et le Virgilio entre dans le port. Aussitôt, et de tous côtés, des barques se dirigent vers le paquebot. De Maddalena, de Caprera, de San-Stefano, de toutes les îles de l’archipel, on accourt vers le navire qui apporte les nouvelles du continent. On voit bien, par l’impatience des insulaires, que cette communication avec la terre ferme est un événement assez rare.


« Le capitaine m’avait préparé à ce tumulte et au retard qu’il nous causerait. Pour échapper à la bagarre et tâcher d’abréger le temps, je cherchais sur l’arrière du navire une place d’où je pusse apercevoir le port et sa modeste marine, lorsque mon compagnon de voyage s’en vint à moi tout joyeux, et me signalant une des barques : « Voyez, dit-il, c’est Garibaldi qui s’approche. Dans un instant, il va être à bord. Quelle joie de serrer la main à mon héroïque ami ! »

« Au milieu des nombreuses barques qui se croisaient en tous sens, je n’eus pas de peine à reconnaître la figure du général. Tenant de sa main droite un câble fixé au mât, il était debout, immobile et grave, près du beaupré de son canot, que faisaient marcher deux rameurs, un matelot et un beau jeune homme au teint bronzé par le soleil. Les traits de l’illustre personnage m’étaient déjà connus. À l’époque où les regards de l’Italie tout entière étaient dirigés vers lui, je l’avais vu accourir à Rome en champion de l’indépendance nationale… Sa physionomie en ces jours d’ivresse m’avait enflammée d’enthousiasme ; cette fois je me sentais émue jusqu’au fond de l’âme, car depuis cette fatale année 1849, initiée par maintes circonstances à la vie de cet homme extraordinaire, je pouvais lire sur les lignes austères et nobles de son visage la grande tragédie de sa rude et orageuse destinée. Oh ! ce n’était pas une idéale rêverie qui absorbait ma pensée ; je me disais avec une émotion profonde que c’était bien là le héros dont j’admirais tant la grandeur d’âme, le dévouement, le courage intrépide, et mes yeux restèrent attachés à sa personne jusqu’au moment où il disparut dans le tumulte qui enveloppait le Virgilio.

« J’avais prié mon compagnon de voyage de ne pas annoncer trop tôt notre arrivée ; ce, serait une indiscrétion, lui avais-je dit, de déranger le général au moment du débarquement, et lorsque peut-être d’importantes affaires l’amènent à bord ; j’aime mieux attendre à demain pour faire connaissance avec lui. Inutile précaution : un quart d’heure ne s’était pas encore écoulé, et déjà mon trop serviable ami venait me dire en toute hâte que Garibaldi demandait à m’être présenté.

« Je suivis le capitaine D… dans la cajute des dames, et c’est là, au milieu du tumulte des matelots occupés à décharger le navire, que j’échangeai