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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/597

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« — Vous pouvez voir d’ici mon habitation, dit le général en me signalant un point de l’île Caprera qui semblait fermer l’extrémité orientale du bras de mer où nous nous trouvions. — Avec l’aide de mon lorgnon, j’aperçus distinctement une maison blanche qui s’élevait dans une majestueuse solitude à quelque distance de la côte, et qui, adossée à une muraille de granit, entourée de rochers dont les pointes s’élançaient vers les cieux, offrait un aspect imposant ; mais trois heures avaient sonné, et il était bien temps de songer à gagner le rivage. Je fis signe à mon compagnon, lorsque le général me présenta en ces termes le jeune matelot qui avait attiré déjà mon attention.

« — Il faut aussi que vous fassiez connaissance avec mon Menotti. On lui reproche d’être trop rude, trop marin. Pour moi, j’estime trop une vigoureuse santé pour ne pas accoutumer mes enfans à tous les exercices qui développent les forces du corps, fût-ce aux dépens de certaines délicatesses extérieures.

« — Il me semble, répondis-je, que vous avez atteint le but avec votre fils, et sans faire tort à aucune délicatesse. — Et je tendis la main au jeune et robuste marin bronzé par le soleil, car son visage franc et ouvert, son attitude simple et noble, excitaient mon admiration au plus haut degré. Quelques coups de rame de son bras vigoureux nous eurent bientôt conduits au rivage de l’île, où nous prîmes congé de lui et de son père, avec la promesse de nous trouver le lendemain à la Punta della Moneta, c’est-à-dire à la pointe sud-est de Maddalena, qui n’est séparée de l’île Caprera que par un étroit canal. »


Elpis Melena et son compagnon, le capitaine D…, vont donc chercher un gîte dans l’île Maddalena. Les personnages les plus intéressans de l’île sont trois Anglais, M. et Mme G…, ermites bizarres, dont la vie, assure l’auteur, doit cacher quelque drame mystérieux, et le vieux capitaine R…, un des plus braves officiers de la marine anglaise, qui, sa carrière achevée, s’amusa encore pendant quelques années à courir les mers sur son yacht, puis, attiré par le magnifique climat de ce petit archipel, séduit aussi par la chasse et la pêche si abondantes sur ces côtes, s’établit définitivement dans cette solitude, où il offre un parfait modèle de l’excentricité britannique.

Le lendemain matin, le général Garibaldi, monté dans un canot dont il tient lui-même le gouvernail, vient chercher ses hôtes à la Punta della Moneta. Nos voyageurs s’embarquent, le vent se lève, la mer étincelle au soleil, et voici devant nous les rochers de Caprera.


« Le canot, dont le vent enflait la voile, entra bientôt dans une petite baie, espèce de port formé par la nature. Nous abordâmes ; après avoir fait quelques pas sur les galets du rivage, nous foulions enfin le sol maigre et nu de l’île de Caprera… Quelle différence avec Maddalena, sa voisine ! Point de barques, point de pittoresques bateaux de pêcheurs pour animer la côte, pas un seul poétique abri sur les bords, aucune forteresse en ruine couronnant