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émeute vient d’éclater dans la ville, et que la caserne de gendarmerie sur la place Sarzana est au pouvoir des insurgés. Impatient de connaître les événemens et de devancer les ordres d, ses chefs, le matelot de l’Eurydice monte dans un canot, aborde à la douane et court à la place Sarzana ; mais rien n’a troublé l’ordre de la ville : il apprend que le coup est manqué, que la police a déjoué le complot, que de nombreuses arrestations sont faites, et que les républicains sont en fuite. « Comme je n’étais entré dans la marine piémontaise, dit-il ingénument, que pour mieux seconder l’insurrection républicaine, je ne crus pas nécessaire de retourner à bord de l’Eurydice. » Le soir même, déguisé en paysan, il parvient à s’échapper de Gênes.

Voilà comment l’ami de Victor-Emmanuel et l’adversaire du comte de Cavour est entré dans la vie politique. Après dix nuits de marche dans les montagnes, il arrive à Nice et s’y repose tout un jour auprès de sa mère ; mais déjà sans doute il est signalé à la police : il n’a pas de temps à perdre s’il veut échapper aux agens du Piémont ; il continue donc sa course, et après avoir traversé à la nage les ondes grossies du Var, qui lui barraient le chemin, il arrive à la frontière française. Là, comme il n’a pas de passeports, il dit son nom et raconte son aventure avec cette magnifique ingénuité qui demeurera un des traits de son caractère. La chose paraît suspecte ; le proscrit est arrêté, on le conduit à Grasse, puis à Draguignan, où il est enfermé provisoirement dans quelque dépôt de gendarmerie. Il saute par la fenêtre, traverse la ville, gagne les montagnes voisines, et arrive bientôt à Marseille, où, ne sachant que faire, il attend, sous un faux nom, une occasion propice pour recommencer sa vie de marin. Un certain Francesco Gazan, capitaine d’un petit navire de commerce appelé l’Unione, le prend comme lieutenant à son bord, et le voilà de nouveau qui continue sa virile gymnastique sur mer en attendant mieux. Il fait un voyage dans la Mer-Noire, il conduit à Tunis une frégate de guerre que le bey a fait construire à Marseille ; il est envoyé à Rio-Janeiro, il revient à Tunis, et retourne encore à Marseille au moment où le choléra y faisait d’effroyables ravages. On y avait établi des ambulances, et tous les hommes de bonne volonté étaient appelés à secourir les malades. À des appels comme celui-là Garibaldi n’est jamais sourd : pendant plusieurs semaines, le futur libérateur de la péninsule remplit les fonctions d’infirmier, dans les hôpitaux de Marseille, veillant la nuit auprès des cholériques comme une sœur de Saint-Vincent-de-Paul.

Quelques mois plus tard, il était à Rio-Janeiro, et ses belliqueuses aventures allaient commencer. Le sixième chapitre des Mémoires s’ouvre par ces mots : « Sous la bannière de l’indépendance, sur le