Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/744

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elles occupent une bonne place dans les plaisirs délicats qu’offre la grande ville de la civilisation.

Je ne veux pas oublier de mentionner aussi les séances de Mme Charlotte Tardieu de Malleville, où affluent les membres de l’Institut et le monde savant. Fondées depuis treize ans par cette femme distinguée, on y entend surtout la musique d’Haydn et de Mozart, et parfois celle de Bach, interprétée avec goût. M. Charles Lamouroux a repris cette année les séances de musique de chambre qu’il a inaugurées l’année dernière. M. Achille Dien, un violoniste de talent, un musicien solide, a donné une belle soirée où il a conduit l’exécution de plusieurs morceaux de musique instrumentale avec intelligence et beaucoup de sentiment. Quand j’aurai cité encore les matinées intimes et agréables de Mlle Beaumetz, les séances permanentes et si intéressantes de M. Gouffé, l’habile contre-bassiste de l’Opéra, je n’aurai pas fini d’indiquer tous les lieux de bonne compagnie où l’on fait de l’excellente musique à Paris.

Parmi les concerts isolés qui ont été donnés cet hiver à Paris par des virtuoses brillans, il nous faut d’abord citer ceux de M. Jules Schuloff. M. Schuloff, qui est de Prague, un Slave mêlé de Juif, je crois, est un pianiste de grand talent dont nous avons déjà eu occasion de parler ici. Son exécution est délicate, brillante et poétique comme ses charmantes compositions. Au premier concert qu’il a donné dans les salons de Pleyel, le 31 janvier, M. Schuloff a fait entendre plusieurs morceaux de sa composition, dont le plus remarquable m’a paru être celui intitulé Mazurka, ou Souvenirs de Saint-Pétersbourg. On y trouve plus de grâce et de rêveries que d’idées franches. Au second concert, qui a eu lieu le 25 janvier, M. Schuloff, qui a le bon goût de ne point abuser de sa musique, a exécuté d’abord avec M. Léon Jacquard la sonate en si bémol pour piano et violoncelle de Mendelssohn, dont je n’aime que l’andante ; mais ce qui m’a ravi, c’est un andante de je ne sais plus quelle œuvre d’Haydn, transcrit pour le piano et exécuté par M. Schuloff avec un remarquable talent. Différens autres morceaux de la composition de M. Schuloff, qu’il a fait entendre à la fin du deuxième concert, ne s’élèvent pas au-dessus de ce qu’on appelle des fantaisies aimables, auxquelles le virtuose prête une partie de leur valeur. À tout prendre, M. Schuloff est pour le moment le pianiste compositeur le plus distingué qui soit connu en Europe.

M. Jaell, dont j’ai également parlé l’année dernière, est aussi un pianiste d’un talent éminent et plus accentué peut-être que celui de M. Schuloff. M. Jael est de Trieste, et il porte dans ses veines comme dans son talent la double influence de l’Italie et de l’Allemagne, qui l’ont formé et vu naître. Son exécution est d’une rare délicatesse, surtout lorsqu’il interprète la musique de Chopin. C’est un artiste véritable, qui a parfois le tort de prêter son talent à de la musique indigne de ses doigts, si merveilleusement agiles. Noblesse oblige !

M. Germano Perelli est encore un pianiste quasi-italien, qui s’est fait entendre