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facilement reconnaissante au foulard qu’il porte flottant sur les épaules ; les projectiles tombaient autour de lui, faisant jaillir la terre molle, où ils s’enfonçaient heureusement sans éclater ; son cheval se cabrait et faisait des bonds terribles ; Garibaldi descendit, le prit par la bride, continua sa route à pied, miraculeusement respecté par les boulets qui s’abattaient autour de lui, et disparut de l’autre côté de la montagne. J’avais invinciblement tenu mes yeux fixés sur lui ; j’eus une large respiration et comme une défaillance de joie en le voyant hors de péril. Il pouvait être un peu plus de midi, il y avait une accalmie dans la bataillé. Bientôt elle parut cesser ; nos troupes continuaient à s’avancer, refoulant les Napolitains vers Capoue ; le combat s’arrêta, et l’on put croire que tout était fini. Une demi-heure ne s’était pas écoulée que la canonnade recommençait de plus belle ; les royaux avaient fait un changement de lignes et nous attaquaient de nouveau. La lutte fut dure, car elle était inégale. Il y avait neuf heures qu’on se battait ; nos pauvres soldats, sans boire ni manger, n’avaient pas quitté le feu ; on était harassé de fatigue, et des troupes fraîches arrivaient contre nous, bien pourvues et reposées. On les reçut d’un cœur solide, et le combat recommença avec vigueur. La barricade, encore prise par les royaux, fut reprise et gardée par nous, la ferme aussi ; il y eut une cascine qui, prise et perdue sept fois, resta enfin en notre pouvoir. À deux heures, les munitions nous manquaient ; on put retrouver trois gargousses à mitraille : habilement employées, elles éparpillèrent les Napolitains, qui faisaient encore une tentative sur la barricade dont la possession assurait celle de Sant’Angelo. Un Français, M. Baillot, ancien élève de l’École polytechnique, ancien ingénieur des ponts et chaussées, commandait une batterie de quatre pièces : il avait tiré quatre cent soixante-trois coups, chargeant, pointant, écouvillonnant lui-même ses canons ; mais ses munitions étaient épuisées, il prit un fusil et se plaça devant ses pièces pour les défendre en cas d’attaque. On bouleversa tout au quartier-général ; on découvrit une demi-caisse de cartouches qui furent utilisées comme il convenait.

À deux heures et demie, voici quelle était notre situation à Sant’Angelo, c’est-à-dire à l’extrême droite de la ligne de bataille : de front, nous étions attaqués par les troupes sorties directement de Capoue ; sur notre droite, nous étions fusillés et canonnés par les royaux, qui cherchaient l’occasion de forcer le passage du Vulturne à la scafa de la Formicola ; à gauche, nos communications avec Santa-Maria étaient coupées par sept bataillons de la garde royale, dont l’artillerie envoyait des boulets de plein fouet jusque dans Sant’Angelo. On tenait ferme, car on sentait qu’il était d’importance extrême de garder la position ; mais la fatigue envahissait les plus robustes :