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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/756

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permanent de cette société que l’on a représentée comme un foyer de torysme est le vénérable marquis de Lansdowne, le patriarche du parti whig. Il y avait dans la réunion des hommes de tous les partis, des whigs comme des tories, le grand libraire whig, M. Longman, aussi bien que le grand libraire tory, M. Murray, et les écrivains les plus populaires de l’Angleterre, l’illustre Thackeray entre autres, qui n’a jamais passé pour un tory. Il suffisait de parcourir le compte-rendu du Times pour voir qu’en effet, comme cela devait avoir lieu sous la présidence d’un Français tel que le duc d’Aumale, la France a été l’objet de tous les témoignages de courtoisie et de sympathie. Dans les discours, rien de vraiment politique. L’allocution dont le président a accompagné le toast de la soirée a été une causerie fine, gracieuse, pleine de tact, sur les littératures d’Angleterre et de France. Le nom de George Sand y a été rapproché avec à-propos de ceux des auteurs de Vanity Fair, de David Copperfield, de Coningsby et de My Novel. Comment oublier l’éloquence politique, même dans une esquisse rapide de la littérature anglaise ? L’influence que la liberté exerce sur les lettres pouvait-elle être omise devant un pareil auditoire ? Et la presse, dans un pays où elle est si active, si éloquente, si puissante, ne doit-elle pas sa force à la liberté publique, à cette liberté dont tous les gens de cœur ont dit, après le grand historien romain : Malo periculosam libertatem quieto servitio ? L’orateur, rappelant les bienfaits du Literary fund, a noblement rattaché à cette institution un souvenir de reconnaissance que lui doit la littérature française tout entière. M. de Chateaubriand, dans son exil de Londres, reçut des secours du Literary fund, et il a déclaré lui-même que sans cette généreuse assistance il n’eût pu achever les Natchez. C’est notre éloquent et spirituel ami M. Disraeli qui a porté le toast au président de la soirée, toast accueilli par les applaudissemens de la réunion surprise et charmée. Certes M. Disraeli est bien le chef des tories dans la chambre des communes ; mais pour l’édification du journal dont nous relevons la maladroite ignorance, il faut ajouter qu’il n’est pas d’homme d’état anglais qui nourrisse pour la France une plus naturelle et plus intelligente sympathie. Il a parlé de nous dans son discours comme de « la plus brillante et la plus raffinée des nations modernes, » comme « d’un pays accompli. » Il n’a insisté que sur les titres littéraires de l’hôte du Literary fund. Il n’a emprunté à la politique que des images, ce qui doit être permis à un tel orateur, pour complimenter le duc d’Aumale. « Nous vivons, a-t-il dit, dans un siècle de vicissitudes étranges. Le courant des révolutions est aussi rapide que violent. Les empires se dissolvent et les dynasties sont dispersées. Heureux le prince qui, éloigné, non par sa faute, des cours et des camps, peut se consoler au milieu des livres, et trouver une occupation généreuse dans les riches galeries de la science et de l’art ! Heureux le prince qui, vivant sur une terre étrangère, s’y mêlant aux hommes sur le pied de l’égalité, s’en distingue encore pourtant par une prééminence naturelle !…