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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/778

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inspiré en cédant aux perfides conseils de ses ennemis, trop heureux de pouvoir ternir l’histoire de sa vie par une page aussi horrible. Ce récit, conforme à la tradition contemporaine, mérite d’autant plus d’être recueilli que, comme tous ceux dont se compose ce fragment de mémoires, malheureusement trop court, il est empreint d’un caractère de simplicité et de franchise qui ne permet pas d’en suspecter la sincérité.

L’établissement de l’empire ne sembla pas d’abord devoir changer beaucoup la situation d’Eugène. L’étiquette sévère dont le nouvel empereur s’entoura dès le premier moment eut même pour effet, d’interdire à son beau-fils les rapports faciles et familiers dans lesquels il avait jusqu’alors vécu avec lui. Son grade le reléguait dans un des salons d’attente les plus éloignés. Pour améliorer sa situation, on lui offrit de le nommer grand-chambellan, mais cette dignité ne convenait ni à ses goûts ni à son caractère ; il la refusa. Peut-être, dit-il naïvement, n’aurait-il pas refusé celle de grand-écuyer, qui lui eût donné des occupations plus analogues, sous certains rapports, à la profession des armes. L’empereur le nomma colonel-général des chasseurs, et cette nomination le combla de joie.

Ce n’était que le prélude de faveurs bien plus éclatantes. Peu de mois après, au commencement de 1805, il fut créé prince de l’empire et investi de l’archichancellerie d’état, une de ces magnifiques sinécures qui, dans le système impérial, devaient fonder autour du trône une classe intermédiaire entre le souverain et les sujets, et servir de base, de premier chaînon, à une nouvelle aristocratie. Enfin, le 7 juin de la même année, un décret le nomma vice-roi d’Italie et lui confia l’administration de ce pays, dont Napoléon venait d’assumer la souveraineté.

Remettre de telles fonctions à un jeune homme de vingt-quatre ans, jusqu’alors complètement étranger à la politique comme à l’administration et en qui rien n’indiquait ces facultés éminentes qui peuvent jusqu’à un certain point remplacer l’expérience, les lui remettre sans placer auprès de lui un conseiller autorisé, capable de l’éclairer, de le diriger au besoin, c’était certainement quelque chose d’extraordinaire, et un tel choix prouvait que déjà, auprès du nouveau monarque comme auprès des souverains issus des vieilles dynasties, le premier de tous les titres était de lui tenir par les liens du sang ou de l’alliance. Au surplus, la pensée de Napoléon n’était pas de conférer à Eugène des pouvoirs bien étendus, et il comptait, par son intermédiaire, gouverner l’Italie d’une manière aussi absolue et presque aussi directe que la France. Je ne sache rien de plus caractéristique que le malentendu qui se manifesta sur ce point entre l’empereur et le vice-roi, et la partie de leur correspondance qui s’y