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qu’à la voix du maître. Ils ne vous estimeront qu’autant qu’ils vous craindront, et ne vous craindront qu’autant qu’ils s’apercevront que vous connaissez leur caractère double et faux. D’ailleurs votre système est simple : l’empereur le veut. Ils savent bien que je ne me dépars pas de ma volonté. »


Dans une dépêche un peu postérieure, on lit ces paroles non moins significatives : « Quand ces législateurs auront un roi à eux, il pourra jouer à ce jeu de barres ; mais comme je n’en ai pas le temps, que tout est passion et factions chez eux, je ne les réunirai plus. » Un peu plus tard, l’empereur écrivait encore : « Il faut partir du principe que, tant que je conserverai la couronne, je veux conserver le pouvoir législatif ; quand elle passera en d’autres mains, je verrai ce qu’il sera convenable de faire. »

Un document plus curieux encore que ces lettres de Napoléon, c’est une lettre qu’il fit écrire par Duroc, son confident intime, au vice-roi, avec qui ce dernier était lié d’une étroite amitié. Elle est évidemment non-seulement inspirée, mais dictée par l’empereur, dont on reconnaît à chaque ligne le tour de pensée et d’expression. En voici les passages les plus saillans :


« ….. Sa majesté m’a fait l’honneur de m’appeler dans son cabinet pour me parler de vous… Sa majesté est mécontente et très mécontente de vous… D’abord vous outre-passez vos pouvoirs, vous faites des choses qui n’appartiennent qu’à elle seule ; ainsi par exemple vous avez dissous le corps législatif, vous n’avez pas présenté les lois telles qu’on vous les avait envoyées.

« 1° Sa majesté se plaint de ce que vous lui demandez son avis sur certaines choses, et que, sans attendre le retour des courriers, vous passez outre, de manière que ses ordres arrivent, et ils sont inutiles ; elle trouve que c’est lui manquer… Il existe des principes dont vous ne devez jamais vous écarter… D’abord vous avez le décret qui fixe vos fonctions et détermine ce que le roi s’est réservé : dans aucun cas et sous aucun prétexte,… il ne faut faire ce qui appartient au roi ; … il ne vous le pardonnera jamais. Quand un ministre vous dira : Cela est pressé, le royaume est perdu, Milan va brûler,… il faut lui répondre : Je n’ai pas le droit de le faire, j’attendrai les ordres du roi.

« 2° Lorsque pour une chose même que vous pouvez faire,… vous croyez pouvoir prendre son avis, il faut l’attendre avant que de rien faire, sans quoi c’est lui manquer. Ainsi par exemple et pour parler de la plus petite chose, si vous demandez à sa majesté ses ordres ou son avis pour changer le plafond de votre chambre, vous devez les attendre ; et si, Milan étant en feu, vous les lui demandez pour l’éteindre, il faudrait laisser brûler Milan et attendre les ordres, ou bien, quand cela vous appartient, ne pas les demander…

« De même qu’il ne faut pas croire les alarmistes, il ne faut pas croire non plus les flatteurs, ni se fier à quelques applaudissemens. Vous avez du courage et des baïonnettes qui vous répondraient de ce que vous annonceraient