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trouvaient commode de faire vivre les troupes au moyen de réquisitions imposées aux villes et aux campagnes, en s’appropriant les fonds destinés à l’entretien de ces troupes, et qui de plus touchaient pour leur compte des contributions dont ils ne versaient rien au trésor. Eugène mit tout à la fois beaucoup de mesure et de fermeté à rechercher et, autant que cela dépendait de lui, à réprimer ces désordres. L’empereur, averti par lui, fit rendre gorge aux déprédateurs, mais se montra assez indifférent aux souffrances des peuples dont ils avaient fait leurs victimes. Il gourmanda même le vice-roi sur sa répugnance pour le système des réquisitions forcées. « Il ne faut pas, lui écrivait-il, vous épouvanter des cris des Italiens. Ils ne sont jamais contens. Demandez-leur comment faisaient les Autrichiens. » Dans la même lettre, prévoyant le cas où le sort des armes forcerait le vice-roi à abandonner Milan, l’empereur disait que les grands-officiers et les personnes attachées à la maison royale devaient le suivre, sans quoi, à son retour, il les ferait fusiller comme des traîtres.

La capitulation d’Ulm, la prise de Vienne et la bataille d’Austerlitz, promptement suivie du traité de Presbourg, mirent fin à une crise qui, pour l’Italie, avait été un moment bien menaçante. Eugène, qui, comme on l’a vu, n’avait pris personnellement aucune part à cette guerre si glorieuse dans sa courte durée, en retira pourtant les plus grands avantages. Non-seulement, par la réunion au royaume d’Italie du territoire vénitien, il vit grandir son importance personnelle avec l’étendue du pays qu’il était chargé de gouverner, mais l’empereur le nomma commandant en chef des troupes de ce royaume, lui donna le titre de prince de Venise, et enfin l’adopta pour son fils en le déclarant son successeur à la couronne d’Italie dans le cas, rendu très probable par l’âge de l’impératrice, où il ne laisserait pas d’enfans. Cette adoption avait pour objet de le rendre plus digne d’une alliance éclatante à laquelle les combinaisons de la politique venaient de l’appeler : l’empereur, en conférant à l’électeur de Bavière la dignité royale avec un grand accroissement de puissance territoriale, avait demandé et obtenu pour le vice-roi la main de la fille aînée de ce souverain, préludant ainsi au système par lequel on le vit ensuite mêler le sang de ses parens et de ses alliés à celui des vieilles dynasties, dans l’espoir d’ajouter le prestige de la tradition et des souvenirs à la force qui résulte d’une origine récente et populaire.

La correspondance que j’analyse contient des révélations piquantes sur ce mariage. On y voit que la princesse Auguste avait été destinée au prince Charles de Bade, celui qui épousa depuis Stéphanie de Beauharnais, qu’elle tenait beaucoup à ce projet d’union, que le roi