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sombre, puis devant une pauvre maison. Ayant gravi les dernières marches d’un escalier raide et étroit, la divinité engagea par un sourire malicieux l’étudiant à entrer dans son olympe, — un grenier où le pauvre jeune homme se trouva face à face avec un grand diable d’Écossais, le mari, qui le reçut de la bonne façon. Il y a d’ailleurs des degrés parmi les ballet-girls, quelques-unes ne sont guère que des figurantes, les autres sont de véritables danseuses auxquelles on ne saurait refuser du talent. Je ne dirai point tout à fait avec Thomas Moore que « leurs pieds sont éloquens, que leur demeure est l’air, et que c’est seulement par complaisance qu’elles touchent le sol ; » mais il est certain que plusieurs d’entre elles se distinguent par un caractère qui convient surtout à la pantomime anglaise, l’énergie dans la grâce.

On peut maintenant se faire une idée de ce genre de pièce, qui ressemble à tout, à l’opéra, au drame féerique, à la farce, à la pantomime italienne, et qui pourtant, dans l’ensemble, se montre frappé d’un cachet profondément national. Le soin de relier entre elles les parties d’un tout si compliqué et de diriger les répétitions est généralement confié dans les grands théâtres à un homme qui en fait sa spécialité. Le plus célèbre de tous est M. Nelson Lee, dont le nom est plus cher aux enfans que celui de William Shakspeare. Nous avons parcouru au théâtre l’empire des chimères : ne devons-nous pas nous occuper d’un autre genre qui se rapproche davantage de la nature ?


II

Il existe un véritable type de comédie qui n’appartient qu’aux Anglais, J’ai surtout en vue celle dont Ben Jonson avait fourni le modèle, solide, massive, compacte, bien faite pour résister au temps, moins riche en jeux d’esprit que féconde en situations fortes, en caractères bien dessinés et en sentimens qui élèvent la nature humaine. Aujourd’hui pourtant cette comédie classique est à peu près abandonnée. La seule qui lui ait succédé et qui conserve encore une empreinte nationale est la comédie du coin du feu, Englishman’s fire-side[1]. Ce mot est littéralement plus juste qu’on ne pourrait l’imaginer, car je n’ai guère vu de comédie anglaise dans laquelle il n’y ait une cheminée avec du charbon de terre qui flambe. Les Anglais ont un tel amour de l’intérieur qu’ils poétisent volontiers les moindres détails de la vie domestique. J’écarterai d’ailleurs, dans cette étude, le point de vue littéraire : ce que je cherche avant tout sur la scène britannique, c’est une peinture de la société. Le théâtre

  1. Un des modèles du genre est la comédie de John Bull, par George Colman.>