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la vérité, semble être un parti-pris de la part des auteurs comiques qui se sont succédé depuis un ou deux siècles. Un tel personnage de convention avait sans doute pris naissance à l’origine dans les préjugés de la race saxonne contre les fils de la race gallique. Il fallait un bouffon, ce fut Pad[1] qu’on choisit. Pas de bonne farce au théâtre sans un Irlandais, et ce dernier joue presque toujours le rôle d’un personnage grotesque, effronté, ignorant, rusé, chevalier d’industrie (fortune~hunter) singulier mélange en un mot de naïveté et de rouerie, de balourdise et d’esprit naturel. L’lrishman n’est pas seulement un caractère, c’est un emploi au théâtre. Il y a des acteurs qui se consacrent presque uniquement à cette spécialité ; l’un des plus célèbres Irishmen était, il y a quelques années, le comique Power, qui obtint un succès de réputation et d’argent. Non content de mouler et de remouler, si je puis m’exprimer ainsi, tous les Irlandais d’après le même type conventionnel, le théâtre, anglais leur prête encore un accent et un langage de fantaisie qu’on rencontre partout excepté en Irlande. Colman se trouvait, il y a plusieurs années, à Dublin, où l’on venait de jouer sa comédie de la Femme jalouse. Quelqu’un lui demanda comment il trouvait la représentation : « Sur mon honneur, répondit-il, je n’ai pas trop compris ce que disaient les acteurs, car ils parlaient tous une sorte de patois, à l’exception pourtant de celui qui faisait le capitaine O’Cutter, et dont l’accent et la prononciation sont du plus pur anglais. » Il était difficile de faire une plus amère critique de la troupe, car ce capitaine O’Cutter, étant le seul personnage irlandais de la pièce, devait, d’après les traditions du théâtre, se distinguer des autres par son mauvais jargon. Je ne veux pas dire que Colman eût absolument tort, ni que les Irlandais ne puissent se reconnaître à leur accent ; mais autre chose est de les entendre parler à la ville et de les écouter récitant leur rôle sur la scène. Ce n’est pas seulement au point de vue de l’art que cette contrefaçon du caractère de Pad présente des inconvéniens ; au point de vue social, elle fournit des armes aux réclamations d’une race qui acquiert ainsi le droit de se dire maltraitée. Beaucoup des griefs politiques sur lesquels s’appuie le mécontentement des Irlandais sont à mon avis imaginaires ; ce n’est pas dans le monde des faits, c’est dans le monde de la fiction qu’on se montre injuste envers eux. Seulement, comme la fiction exerce souvent presque autant d’empire que la réalité sur l’esprit des hommes, la comédie anglaise n’a point été étrangère, je le crains, aux animosités regrettables qui divisent les deux familles ou les deux nuances de la population. Une réaction heureuse contre les anciennes habitudes du théâtre a été sous ce rapport, dans ces derniers temps, la

  1. Nom populaire qu’on donne aux enfans de l’Ile d’Émeraude, Emerald isle.