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c’est ainsi que les marins appellent les soldats par allusion à la couleur de leurs habits.

Parmi les comédies qui se jouent aujourd’hui sur les divers théâtres de Londres, ne peut-on cependant détacher certains types qui soient de nature à donner une idée de la société anglaise ? Un des caractères qui réussissent en ce moment sur la scène est celui de l’hypocrite, — non pas le Tartufe de Molière, mais une sorte de Tartufe anglais qui n’est guère connu en France, du moins sous les mêmes couleurs. Dieu me garde de dire que l’hypocrisie soit plus répandue dans la Grande-Bretagne que sur le continent ! À première vue, on serait même tenté de croire que la liberté des institutions a étouffé ce vice ignoble ; mais il est juste d’ajouter que, dans un pays où, à défaut de contrainte légale, l’opinion étend un sceptre de fer sur les mœurs, les habitudes et les préjugés, il y a encore une assez large place pour l’esprit de dissimulation. Au Princess’s Theatre, dans une pièce intitulée Bowl’d out (Démasqué), j’ai vu un acteur comique de beaucoup de talent, H. Widdicomb, jouer au naturel le caractère du prêcheur et du distributeur de tracts (brochures religieuses). Pour comprendre la portée de l’abus que l’auteur (M. Craven) et l’acteur ont voulu frapper, il faut savoir qu’en Angleterre, parmi certaines sectes de dissidens (dissenters), c’est-à-dire parmi quelques-uns des protestans qui se sont séparés de l’église anglicane, tout homme est prêtre, en ce sens que tout homme peut se donner à lui-même la mission de semer la parole de Dieu. Le dimanche et même durant les jours de la semaine, on trouve dans les parcs, dans les carrefours et sur les places publiques des prêcheurs en plein vent qui réussissent plus ou moins à se former un auditoire. En arrivant à Londres, j’ai même rencontré, il y a quelques années, sur une des places de Wapping, un nègre qui haranguait un cercle de passans arrêtés. Comme je n’avais jamais rien vu de semblable dans les autres pays, — si ce n’est peut-être en France durant les jours les plus orageux de 1848, — je me demandais si la police n’allait pas intervenir pour réduire au silence l’orateur qui provoquait un attroupement, et même, il faut le dire, un attroupement assez tumultueux. Un policeman de service s’avança en effet vers le groupe bruyant ; mais, à ma grande surprise, ce fut pour protéger l’orateur noir contre les insultes et les plaisanteries un peu vives dont il était l’objet. D’autres prédicateurs laïques se glissent dans les chapelles et jusque sous le toit domestique, où ils jouissent d’une considération qui n’est pas toujours méritée. Il y a même des Anglais ayant une position dans le monde qui favorisent cette diffusion de la parole et qui consacrent une partie de leur fortune à faire imprimer de petits livres religieux qu’ils distribuent sur la voie publique. Ceux-là du moins sont sincères, et, quoiqu’on puisse différer d’opinion sur l’usage qu’ils font