Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/880

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mœurs, non par la noblesse des sujets et des moyens d’expression choisis, mais par des révélations au moins familières sur les coutumes de la vie domestique, sur les secrets de la chambre nuptiale, parfois même des lieux où l’amour se vendait. On sait aussi qu’un autre groupe d’artistes a pris à tâche d’habiller à la mode grecque les idées et les gens de notre temps, ou de mettre en circulation de maigres moralités sous un costume mi-parti antique, mi-parti moderne. Les chefs de ces deux sectes, M. Gérôme et M. Hamon, ont vu cette année le nombre de leurs adhérens grossir, et, comme pour activer encore le progrès, ils ont l’un et l’autre multiplié les exemples. M. Gérôme a envoyé au Salon six tableaux, dont trois au moins traités dans un goût franchement archaïque ; M. Hamon en a envoyé cinq. Ce sont ces œuvres qu’il nous suffira d’interroger parce qu’elles expliquent, en la résumant, une doctrine dont les tableaux de MM. Gustave Boulanger, Brun, Humbert, Froment et plusieurs autres ne sont guère que la paraphrase ou l’exposé un peu incertain.

Il semble qu’en choisissant pour thèmes des sujets bizarres en eux-mêmes, M. Gérôme soit séduit moins encore par l’attrait d’une scène à composer que par le caractère des détails, des curiosités accessoires qu’il aura l’occasion d’introduire dans cette scène et dont il fera souvent un moyen de succès principal. Le Roi Candaude, l’Ave Cæsar accusaient assez clairement déjà ces préférences archéologiques ; les tableaux que M. Gérôme a exposés cette année prouvent qu’elles sont devenues chez lui une habitude de l’esprit et comme un point de foi esthétique. Quelques-uns même autorisent un reproche plus grave. En prétendant surprendre et intéresser les yeux, ces toiles font appel aussi à des arrière-pensées peu dignes de l’art et du talent de l’artiste. L’Alcibiade chez Aspasie par exemple et surtout Phryné devant le tribunal renouvellent cette faute contre le goût que M. Gérôme avait commise une première fois lorsqu’il nous ouvrait les portes de certain intérieur grec où les mœurs intimes de la débauche étaient prises sur le fait et retracées avec une stricte fidélité, avec bonhomie, pourrait-on dire. Je me trompe : cette sorte de candeur du pinceau en face d’une pareille scène, cette transcription pure et simple de la réalité n’excusent même pas la regrettable composition où M. Gérôme nous montre Phryné entourée de ses juges. Rien d’impartial ici, ni d’expressif à demi. Les choses, minutieusement étudiées, sont commentées avec plus de complaisance encore. La convoitise à ses degrés divers et se traduisant, suivant l’âge et le tempérament de chacun, en sourires hébétés ou égrillards, en caresses du regard ou en violences, voilà le genre d’intérêt que présente la nouvelle œuvre de M. Gérôme, voilà l’enseignement qu’elle nous propose et l’élément comique dont on a