Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/910

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses traits pouvait être corrigée dans la jeunesse par la beauté du teint ou l’attrait de la physionomie ; mais quand elle arriva en France en 1817, à l’âge de trente-quatre ans, le chagrin et la maladie avaient déjà sans doute jeté leur ombre sur l’éclat passager du premier âge, et nulle coquetterie, même instinctive ou involontaire, n’avait dû combattre l’effet du temps. Née à la cour, mais dans une cour despotique, où le rang n’assure nullement l’influence, elle quittait Saint-Pétersbourg en disgrâce. La pénétration de l’esprit et la souplesse du langage, l’art des insinuations et l’intelligence des demi-mots, la persévérance cachée sous la grâce, ont fait souvent des femmes des diplomates de premier ordre ; mais Mme Swetchine n’arrivait à Paris chargée d’aucune mission secrète ni avouée : elle ne demanda point d’accès dans ce monde diplomatique où parfois (moins souvent pourtant que les romanciers ne le disent) la destinée des peuples a été décidée par un sourire dans l’éclat d’une fête. D’ailleurs, sans être dépourvue d’aucun des charmes de son sexe, Mme Swetchine n’en connaissait pas les arts. Ce qu’elle possédait le moins, c’était le secret essentiellement diplomatique et féminin de glisser légèrement sur sa propre pensée pour arriver sans bruit à celle d’autrui. Elle était timide, attendait qu’on lui parlât pour répondre, et sa parole, d’abord légèrement embarrassée, ne se dégageait et ne s’animait que pour donner cours à une émotion vraie ou à une conviction profonde. Douée d’une extrême perspicacité, elle employait sa clairvoyance à démêler les bons sentimens dans les âmes pour les mettre en lumière et leur prêter appui, et non les faiblesses pour les flatter et s’en servir. En un mot, pour briller sur le théâtre ou dans les coulisses des grandes affaires, Mme Swetchine était à la fois trop sincère, trop sérieuse et trop charitable.

D’autres femmes ont dû leur empire non à l’adresse et à l’esprit de conduite, mais au contraire à la vivacité plus généreuse qu’intelligente de leurs sentimens. Dans les temps de partis, en politique, en religion surtout, beaucoup de femmes ont conduit les hommes par la passion ; elles sont devenues l’âme de réunions étroites et ardentes, et n’y ont point toujours inspiré la douceur et l’humilité. C’est souvent au contraire en exagérant les opinions, en exaltant les susceptibilités de ceux qui vivent près d’elles, qu’elles réussissent à les captiver. Fatigués de la contradiction et meurtris de la lutte, les hommes, en sortant de l’arène de la vie publique, aiment à rencontrer près d’eux l’écho animé de leur propre voix et des cœurs qui ressentent toutes les blessures qu’ils n’avouent pas. Les femmes de leur côté, faites pour un sentiment exclusif, n’admettant guère plus le partage en fait d’idées qu’en fait d’amour, laissent facilement leur admiration s’aveugler jusqu’à l’idolâtrie et leur croyance