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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/938

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par un serpent à sonnettes descendu de la Montagne. D’énergiques remèdes appliqués à l’instant même semblèrent avoir paralysé tout d’abord les effets de la morsure ; mais quelques mois plus tard la jeune femme succombait.

J’ai dit ce qu’était Rockland ; quant à l’Apollinean Female Institute, qui intéresse plus directement notre histoire, c’est une institution éminemment florissante où environ cent écolières, tant pensionnaires qu’externes, apprennent, avec l’anglais maternel, différentes langues modernes, un peu de latin (si les parens y tiennent), un peu de philosophie naturelle, la dernière année un peu de métaphysique et de rhétorique, et enfin en tout temps la musique et la danse (payées à part) à la fin de leurs cours d’études, les élèves passent un solennel examen public, et reçoivent, dûment noués de faveurs bleues, des diplômes qui les proclament « graduées de l’Apollinean. »

M. Silas Peckham mène ce joli troupeau comme s’il s’agissait de cent têtes de bétail. C’est bien là le type du Yankee né sur les côtes, nourri de poisson, maigre et blême de par cette diète spéciale. De l’instruction il ne s’occupe guère, mais bien d’acheter au meilleur compte et au plus gros bénéfice possible les élémens des repas économiques destinés à ses pensionnaires, item des contrats à passer avec les professeurs, dont il s’attache à tirer le plus possible en échange du salaire le plus réduit, enfin des prospectus annuels, pour lesquels il dépense toute la rhétorique dont le ciel l’a doué, plus celle qu’il peut emprunter ça et là. Il sait par cœur ces éloquens morceaux, et tout le long de l’année chante les louanges de l’Apollinean. Sa femme, née dans l’ouest, honnête et ignorante créature, ne sert dans la maison qu’à élever une centaine de volailles. Comment, sous cette double direction, l’établissement prospère-t-il ? Voilà le secret. On en aura le mot en regardant la jeune maîtresse des études qui a été chargée de recevoir M. Langdon, de le présenter aux élèves, et de lui faire connaître la part qu’il doit prendre à leur éducation.

Miss Darley est Anglaise. Helen est son nom de baptême. Son corps est frêle, sa volonté forte, sa conscience d’une délicatesse exquise. Le sentiment du devoir la domine, et sous la main de fer du maître que la misère lui a imposé, elle rend en fait de travail bien au-delà de ce qu’on pourrait loyalement exiger d’elle. Elle fatigue autant qu’un homme robuste et souffre dix fois plus. La conscience et la pauvreté ! que de tortures, que de paroxysmes nerveux, que de morts prématurées leur sont dus ! Combien de ces pauvres governesses, de ces pauvres maîtresses d’école, sont descendues avant l’âge dans l’obscurité du tombeau ! Moins pénétrées de leurs devoirs,