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le but qu’elle poursuit, les théories qu’elle a fondées, et l’on comprendra en même temps quel service cette science peut rendre à une véritable philosophie. La synthèse chimique a fait, grâce aux beaux travaux de M. Berthelot, des conquêtes presque inespérées. Le jeune chimiste reproduit artificiellement et en très grand nombre ; non pas des êtres organisés, mais du moins les substances qui entrent dans la composition de l’animal et du végétal. La nature créatrice garde encore ses derniers et plus profonds secrets ; mais quelques-uns du moins lui ont été arrachés.

Malgré tous les progrès accomplis depuis cinquante ans par la chimie organique, dont le nom lui-même est de création toute récente, on est d’abord moins frappé des résultats obtenus que des lacunes énormes qui séparent encore cette science du point où elle touche au problème fondamental de la vie. En maniant tant de substances si diverses, si changeantes, en les voyant passer par toute sorte de transformations, il semble qu’on soit dans un monde purement artificiel, et le laboratoire du chimiste paraît un microcosme de fantaisie qui ne ressemble en rien au monde véritable. Ce n’est qu’à de rares intervalles que l’organisme vivant se dresse devant la pensée, perdue au milieu de tant de métamorphoses artificielles : c’est dans l’animal ou le végétal qu’il faut chercher d’abord ces substances qui deviennent ensuite le jouet du savant. On oublie alors un moment les cornues, les tubes, les fourneaux, lorsqu’on a sous les yeux l’être, laboratoire animé où la nature elle-même règle toutes les réactions. C’est là, on n’en peut douter, ce qui revêt d’un charme puissant, d’un attrait particulier, les études auxquelles s’est voué M. Berthelot. Dans la plupart des autres sciences, l’objet soumis à l’observation et à l’analyse est nettement déterminé. On prend des mesures, on décrit, on cherche des lois ; mais on n’est pas constamment poussé vers un inconnu tout nouveau. Les mystères n’y pressent pas les mystères dans une succession si rapide ni si imprévue. L’objet de ces sciences est d’ordinaire un vaste tableau dont on veut fixer les contours, mais que l’œil peut embrasser d’un seul coup. La chimie organique au contraire se présente comme un vrai voyage de découvertes, plein d’accidens, de péripéties, et c’est au terme seulement que doit se rencontrer la solution des secrets qui ont de tout temps sollicité le plus vivement la curiosité des esprits amoureux du vrai et désireux de connaître la raison dernière des phénomènes. Rien n’est plus instructif, plus curieux que de suivre cette longue série d’efforts tentés pour mettre la chimie organique en mesure de fournir une base véritablement scientifique à la physiologie. Après les avoir passés en revue, je chercherai à montrer nettement quelle est la nature des rapports que la science est parvenue