Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/984

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conservés du pays, j’avoue que la Turquie pourrait être gouvernée, et même sans que les Turcs y missent beaucoup du leur. Ainsi, quand Fuad-Pacha annonce au major Fraser qu’il a déjà fait condamner cent soixante-sept personnes, dont cinquante-sept ont été condamnées à mort comme coupables de meurtre et qu’il les a fait pendre, le major Fraser lui répond très nettement que « s’il n’y a que cinquante-sept personnes qui aient été condamnées comme coupables de meurtres, on peut en conclure que le plus grand nombre de ceux qui ont pris part aux massacres est encore libre, car il serait difficile de croire que plus de cinq mille personnes[1] aient pu être massacrées, sans parler des femmes déshonorées et enlevées, par cinquante-sept individus seulement[2]. »

Si Fuad-Pacha lui-même a besoin d’être ainsi sans cesse encouragé et pressé par les agens anglais, qu’est-ce des autres fonctionnaires, turcs, et que deviendrait le pays si Fuad-Pacha seulement était rappelé ? Voyez le tableau de Damas tel que le fait M. Brant pendant une absence de Fuad-Pacha : un gouverneur de Damas, Vali-Pacha, n’ayant ni courage ni autorité, craignant tout, ne prévoyant rien, ne pourvoyant à rien ; des soldats dont les sentimens sont contraires à leurs devoirs ; une population fanatique ne songeant qu’à punir les chrétiens des châtimens infligés aux musulmans ; les instigateurs du massacre en prison, il est vrai, mais non condamnés et passant pour des persécutés. « Dans cette situation, si Fuad-Pacha était rappelé de Syrie, il faudrait s’attendre à des calamités plus grandes encore que celles dont nous avons été témoins[3]. » Qui donc parmi les agens anglais présens sur les lieux, qui donc croit la Porte-Ottomane assez puissante pour réprimer les désordres ? Qui donc pense qu’elle pourra pourvoir à l’état du pays, tel qu’il va être après le départ de l’expédition européenne ? Pourra-t-elle seulement réparer quelques-uns des malheurs qu’elle a laissé faire ? « Fuad-Pacha, dit lord Dufferin le 26 octobre 1860, n’a ni argent, ni agens ; il ne peut payer ni matériaux ni ouvriers ; il ne peut pas trouver un seul individu à qui il ose confier avec sécurité six pence pour les distribuer[4]. »

Que résulte-t-il des citations que je viens de faire ? Deux faits qu’il est bon, je pense, de mettre en lumière, le premier sur les Turcs, le second sur les Anglais.

D’abord il est évident, d’après les rapports anglais, que la force de la Turquie en Syrie est tout entière, à l’heure qu’il est, dans

  1. Les rapports sur le nombre des victimes varient de cinq à huit mille.
  2. Recueil anglais, p. 95, no 109.
  3. Ibid., p. 165, no 159.
  4. Ibid., p. 194, no 175.