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gles indulgence. Il fallut bien alors répudier en partie les honneurs d’une solidarité qui devenait compromettante, ou tout au moins gémir pieusement sur les désordres des rebelles, sur les abominables erreurs de ces fils égarés. On devint moins ardent à soutenir leur cause à mesure qu’elle parut moins favorable à la propagande protestante, et sous l’impression de revers qui semblaient présager la ruine de l’insurrection. En 1860, la scène change de nouveau. Pressés à la fois par tous les périls, les impériaux tentent de les repousser tous à la fois, et n’y peuvent réussir. Au moment même où les troupes alliées vengent brillamment l’injure du Peï-ho, l’armée impériale qui cerne Nankin laisse rompre ses rangs par les assiégés. La capitale de l’insurrection vomit sur les riches campagnes qui bordent le Yang-tze-kiang des bandes affamées de pillage. Les armées de l’empereur Hienn-foung sont mises en pleine déroute, des villes importantes surprises et saccagées. Sou-tchéou, la capitale de la province, la ville la plus opulente, la plus aimable, la plus voluptueuse de l’empire, le paradis de la Chine, ouvre ses portes au roi fidèle[1]. Celui-ci cherche à conquérir la neutralité anglaise par des protestations amicales affichées aux environs de Shang-haï ; mais il songe en même temps à s’emparer de la ville chinoise, et y envoie des troupes que nos agens font éloigner par mesure de prudence : on apprend successivement que les riches districts d’où nous tirons en partie la soie et le thé qui alimentent notre commerce vont être envahis, et qu’un corps de l’armée insurrectionnelle marche à grandes journées sur Hang-tcheou-fou, la capitale du Tché-kiang. Alors la communauté étrangère tremble de nouveau pour son avenir ; les missions protestantes sentent se réchauffer leur tendresse pour leurs enfans ingrats, mais vainqueurs ; on fait des avances et des politesses à ce redoutable voisinage, et on s’empresse d’ouvrir à Nankin, à Sou-tcheou, une enquête bienveillante.

Le résultat de cette enquête n’est pas encore connu ; mais, quel qu’il puisse être, on ne peut se défendre de vives anxiétés en songeant aux embarras diplomatiques que nous ménage la rébellion chinoise. Pendant longtemps, on ne lui avait accordé qu’une attention curieuse et distraite[2] ; on se renfermait vis-à-vis d’elle dans un rôle de neutralité impartiale et expectante. Après avoir puni l’offense que nous avait faite le pouvoir régulier et rétabli nos relations compromises, il serait sage d’envisager les questions nouvelles qui peuvent surgir, et d’aviser, de concert avec nos alliés, aux moyens de les résoudre. Il faut savoir si la puissance avec laquelle nous venons de faire la paix est bien raffermie sur ses bases, si, dépouillée

  1. Le tchong-ouang, un des lieutenans du chef de l’insurrection, Tai-ping-ouang.
  2. Rappelons cependant l’étude si remarquable consacrée à la question chinoise, et incidemment à l’insurrection, dans la Revue du 1er juin 1857.