Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/1005

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tratif qu’il faudra donner au nouveau royaume des questions qui soient de nature à faire éclater des divergences au sein de la majorité parlementaire et des dissidences parmi les ministres; mais ces questions ne sont point posées actuellement, elles ne sont pas mûres; elles ne seront pas soumises à la discussion décisive du parlement avant six mois : pourquoi donc irait-on embarrasser le présent, où de si graves difficultés affluent, de controverses réservées à l’avenir? Ceux qui s’adonnent à ce travail de dissolution comprennent bien peu les intérêts de leur pays; ils semblent ignorer combien il importe au crédit de l’Italie en Europe que l’unité du ministère actuel soit maintenue. Le ministère italien ne doit avoir aujourd’hui en vue qu’une chose, le rétablissement de l’ordre dans les provinces napolitaines. Qu’il seconde avec vigueur le général Cialdini en méprisant les fausses rumeurs qui annoncent sa dissolution, et que les ambitieux aient au moins assez de patriotisme pour ajourner leur impatience jusqu’au moment où Cialdini aura terminé son œuvre.

Les Italiens ne sont point le seul peuple dans le monde dont la France ait activement favorisé la naissance politique. Seuls en Europe, nous avons coopéré à la fondation de la république américaine : sans doute dans leur lutte avec la métropole, les États-Unis auraient été vainqueurs à la longue et auraient forcé l’Angleterre à reconnaître leur indépendance; mais l’intervention généreuse de la France abrégea certainement la guerre de l’indépendance et avança l’heure où l’Angleterre dut se résigner à l’émancipation de ses colonies. Il nous est impossible de nous soustraire au souvenir de cette participation glorieuse de la France à la fondation de la grande république américaine quand nous voyons cette république se démembrer, et dans ce déchirement le parti qui représente l’union des états subir une sanglante humiliation par la déroute de Manassas. Ne semble-t-il pas que le coup qui déchire l’Union frappe la France dans une de ses œuvres vivantes? Nous ne parlerons pas de la place que la république occupait dans l’équilibre maritime et du concours que nous sommes exposés à perdre pour le maintien de cet équilibre, si la séparation devient irrévocable, si l’antagonisme se perpétue entre les états du nord et ceux du sud. Notre regret est plus désintéressé. Le gouvernement américain a été parmi les gouvernemens du monde moderne celui qui a eu au plus haut degré ce caractère d’être une création de la raison humaine. Sous cette constitution essentiellement rationnelle, l’égalité la plus entière devait se concilier et avait jusqu’à présent coexisté avec la plus complète liberté. Il y avait là comme le type de la justice sociale et politique que toutes les sociétés humaines doivent aspirer à réaliser. Même pour les intelligences qui vivent au sein des nations auxquelles leur histoire et les accidens de leur situation ne permettent point d’espérer le règne prochain de la justice politique, c’était une consolation et un orgueil de pouvoir montrer par un exemple si éclatant que ce n’est point une utopie que de croire en politique à la réalisation pratique d’une