Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/169

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Il y a des peuples, aussi bien que des individus, chez lesquels on voit une opposition étrange entre ce qu’ils aiment et ce qu’ils atteignent, ce qu’ils veulent et ce qu’ils font. Les Français professent l’amour de la liberté et la haine des révolutions : c’est chez eux que les révolutions sont le plus fréquentes, la liberté le plus vite sacrifiée. Les Espagnols ont cultivé la peinture avec passion sans contribuer à ses progrès : ils ont eu des artistes nombreux, mais la plupart médiocres ; ils ont appelé sans cesse des maîtres étrangers, sans profiter de leurs leçons ; ils ont fondé des écoles, miais ces écoles, au lieu de grandir, s’affaiblissaient aussitôt, tandis que ceux qui les dédaignaient pour ne relever que d’eux-mêmes sont quelquefois devenus célèbres. Il faut chercher l’explication de semblables contradictions non pas dans les faits, mais dans le caractère d’une nation. L’homme trop souvent accuse la destinée, quand il ne devrait accuser que lui-même. On a prétendu que la domination des Arabes, qui sont iconoclastes, c’est-à-dire qui proscrivent les images, était la cause de l’infériorité des Espagnols dans les arts d’imitation. D’abord la domination des Arabes était détruite longtemps avant la renaissance, car le royaume de Grenade, loin d’exercer sur la Péninsule aucune influence fâcheuse, ne fut que le dernier et le plus aimable asile des Maures vaincus. Ensuite il y a une ingratitude rare à présenter comme les oppresseurs des arts ceux qui ont revêtu l’Espagne de sa plus belle parure. Il faut avoir visité l’Afrique et l’Espagne coup sur coup pour saisir tous les liens qui unissent l’une à l’autre les civilisations de ces deux pays. Ce que l’Espagne possède de plus précieux ou de plus caractéristique, elle le doit aux Arabes. Ses monumens les plus exquis, ses demeures les plus élégantes, ses villes les plus poétiques, sont arabes ; ce qu’il y a de pittoresque dans ses mœurs, dans ses costumes, dans ses meubles, dans les détails familiers de la vie, est emprunté aux Arabes ; si, dans la bouche des Espagnols, vous surprenez un mot plus Sonore, il est arabe ; si une pensée vous paraît plus fleurie, un tour de politesse plus délicat, ils viennent des Arabes. Il est beau à un peuple de s’affranchir et de se constituer, mais il n’est pas nécessaire qu’il oublie pour cela ce qu’il doit aux conquérans, ni qu’il les calomnie. Pour certaines parties de l’Espagne, le départ dès Arabes fut une ruine, et si la plaine de Valence est restée un jardin enchanté, c’est qu’on y a gardé la culture des Arabes et jusqu’aux lois qui régissaient la distribution des eaux.

La religion musulmane, il est vrai, écartait les arts d’imitation ; mais le Koran, en passant en Europe, avait perdu beaucoup de sa rigueur. Les maîtres de l’Andalousie ont même donné aux Espagnols des exemples de tolérance en tout genre qu’ils n’ont guère suivis.