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STANITZINE.

Oui, je sais qu’elle ne me repoussera pas… Gorski ! je suis heureux… Je voudrais embrasser l’univers… Permettez du moins que je vous embrasse. (Embrassant Gorski.) Ah ! que je suis heureux ! (il sort en courant.)

GORSKI, après un silence prolonge.

Bravissimo ! (Il s’incline du côté OU est sorti Stanitzine.) J’ai l’honneur de vous féliciter… (Il marche par la chambre avec dépit.) J’avoue que je ne m’attendais pas à cela. Voyez quelle perfidie ! Il faut pourtant que je m’en aille au plus vite… ou bien, non, je reste… Ah ! que le cœur me bat d’une façon désagréable… C’est affreux. Eh bien ! quoi, je suis vaincu. (Il s’approche de la fenêtre et regarde dans le jardin.) Les voici qui viennent… Sachons du moins mourir avec grâce… (il met son chapeau comme s’il se disposait à sortir, et se trouve en face de Moukhine, Vera et mademoiselle Bienaimé, a laquelle Vera donne le bras.) Ah ! vous rentrez déjà, et moi qui allais vous rejoindre… (Vera ne lève pas les yeux. )

MADEMOISELLE BIENAIMÉ.

Il fait encore trop mouillé.

MOUKHINE.

Pourquoi n’es-tu pas venu tout de suite avec nous ?

GORSKI.

Tchoukhanof m’a retenu. Vous paraissez avoir couru beaucoup, Vera Nicolaevna ?

VERA.

Oui,… j’ai Chaud. (Mademoiselle Bienaimé et Moukhine s’approchent du billard et se mettent à jouer.)

GORSKI, à demi-voix.

Je sais tout, Vera Nicolaevna… Je ne m’attendais pas à cela.

VERA.

Vous savez ;… mais cela ne me surprend pas. Ce qu’il a sur le cœur, lui, il l’a aussi sur les lèvres.

GORSKI, d’un ton de reproche.

Lui. .. Vous vous repentirez.

VERA.

Non.

GORSKI.

Vous avez agi sous l’influence du dépit.

VERA.

C’est possible ; mais j’ai agi sagement, et ne m’en repentirai pas… Vous-même, vous m’avez appliqué les vers de votre Lermontof ; vous m’avez dit qu’une fois que le hasard aurait disposé de ma vie, j’irais sans repentir et sans regret là où il me conduirait… Du reste, Gorski, vous savez que je n’aurais pas été heureuse avec vous.

GORSKI.

C’est flatteur.

VERA.

Je dis ce que je pense. Il m’aime, mais vous…