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Je quitte le roi. Hier, durant cette agonie, il a été admirable de courage, de présence d’esprit, d’empire sur lui-même et sur les autres. Il est fatigué ce matin, plus livré qu’hier à sa tristesse, mais d’une force physique et morale qui surmonte tout. Nous avons rapproché de huit jours la réunion des chambres. »


La première stupeur passée, je pus connaître à fond les sentimens de lord Aberdeen. Il examinait avec sollicitude la question de la régence sous toutes ses faces ; il approuvait surtout la délégation du pouvoir suprême au prince que les titres de sa naissance et la confiance des chambres appelaient à l’exercer éventuellement ; mais avec la haute prévoyance que lui avait donnée sa longue pratique des vicissitudes de ce monde, il sondait notre malheur jusque dans ses conséquences extrêmes, et en tirait pour l’avenir de funestes présages.

La situation générale que j’ai essayé de caractériser ne devait pas, ne pouvait pas durer. La rupture n’était dans les vues de personne, l’intérêt le plus évident commandait à chacun la bonne intelligence ; une impérieuse sympathie attirait les uns vers les autres, ces hommes, les plus éminens de leur génération, qui présidaient aux destinées des deux peuples : l’éloignement factice et périlleux que l’on s’efforçait de leur imposer ne pouvait donc se prolonger. Les deux souverains, les deux gouvernemens avaient à cœur d’y mettre un terme, et nul ne s’y employa plus que le secrétaire d’état britannique. La première entrevue du château d’Eu vint le seconder. Le roi Louis-Philippe et la reine Victoria, M. Guizot et lord Aberdeen se virent, se comprirent, et un progrès sensible se manifesta. M. de Sainte-Aulaire avait voué à cette œuvre toute son habileté, et lorsqu’au mois d’août 1843 il m’abandonna encore une fois la direction des affaires, je savais tout ce qu’elles avaient gagné entre ses mains. Les liens de lord Aberdeen avec l’Europe ne s’étaient pas relâchés ; mais plus il avait étudié et pratiqué la situation, plus il s’était convaincu qu’elle imposait aux deux cours de Paris et de Londres le concert intime et efficace qu’elles souhaitaient. Entre elles était l’affinité véritable sur presque toutes les questions du jour, entre elles le conflit, si cette affinité n’était soigneusement cultivée. En dehors d’ailleurs de tant de motifs de rapprochement, deux questions capitales s’annonçaient déjà graves, menaçantes, n’offrant chance de solution amicale que dans le plus intime accord pour les résoudre. Celle du droit de visite était la première. Il s’agissait non-seulement de faire prévaloir la non-ratification d’un traité récemment signé, mais de préparer les voies à l’abolition complète d’un régime en faveur duquel l’Angleterre s’était vivement passionnée. « Travaillez-vous toujours, in your closet, m’écrivait M. Désages (13 avril 1843)