Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/492

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la cause n’est point décidée en dernier ressort. Entre les accusés et la justice, il ne serait point convenable d’intervenir. Ce sont les idées françaises, et nous nous y tenons. Devant un accusé, on a chez nous ce sentiment, que sur un seul homme pèsent toutes les forces de la société, représentée par le pouvoir judiciaire, et l’on se ferait un scrupule de porter secours à l’accusation armée de tant de puissance. Il n’en est point ainsi en Angleterre, où l’on sait que la justice participe elle-même du self-government, et où la part des pouvoirs publics dans les poursuites est extrêmement réduite. Il y a quelques années, une affaire analogue à la déconfiture de la Caisse des chemins de fer éclata à Londres, l’affaire de la Royal British-Bank. La presse politique et économique d’Angleterre fut loin de garder envers les directeurs et les administrateurs de la British-Bank l’attitude de réserve où la presse française s’est tenue à l’égard des directeurs de la Caisse des chemins de fer. La presse anglaise épousa chaudement la cause des créanciers et des malheureux actionnaires de la British-Bank, qui était en réalité celle du public ; elle en seconda l’instruction en établissant les véritables principes de morale et de droit qui doivent présider à la direction des sociétés financières, en faisant ressortir la responsabilité encourue par les directeurs, dont plusieurs étaient membres du parlement ou aldermen de Londres. Mais, nous le répétons, l’administration de la justice n’est point en Angleterre aussi armée qu’en France, et il est naturel que chez nous la presse s’abstienne d’accabler des accusés placés devant un pouvoir judiciaire redoutable. Par réciprocité du moins, il serait convenable que tous les journaux en France voulussent bien observer entre les accusés et l’accusation une impartialité absolue, et s’abstinssent de donner, ne fût-ce qu’indirectement, aux inculpés des témoignages de sympathie qui, jusqu’à ce que leur innocence soit démontrée et reconnue par les tribunaux, risquent de s’égarer et d’égarer les préventions de l’opinion sur de grands coupables. Nous ne nous croyons donc autorisés à émettre sur le procès Mirés aucune appréciation avant que tous les degrés de juridiction aient été épuisés. Qu’il y ait à tirer de cette affaire des moralités qui appartiennent à la politique, cela est manifeste. N’a-t-on pas vu, d’après le témoignage même de l’accusé, consigné dans des lettres qui n’étaient point destinées à la publicité, l’immense influence qu’il avait pu acquérir sur les journaux, grâce à la triste condition qui est faite à la presse ? Nous le disions ici même il y a trois ans : dans les pays où la presse n’est point libre, les intérêts politiques du pays ne sont pas seuls compromis. À la faveur du régime qui entrave les libres manifestations de l’opinion, il s’établit toute sorte de despotismes subalternes dont les intérêts des particuliers ont à souffrir. M. Mirés lui-même a été la victime de ce régime de la presse, où il croyait puiser une force irrésistible, parce qu’il y trouvait d’inépuisables complaisances. Supposez un instant qu’il eût pu exister depuis huit ans dans la presse parisienne un journal tel qu’était l’ancien National ; aucune des témérités que l’annonce et la réclame rendaient faciles à M. Mirés n’eût été