Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/508

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ont vu le jour dans l’ancien royaume de Naples et dans les états de l’église, n’a été qu’un chanteur froid, l’interprète gracieux des compositeurs médiocres qui ont succédé aux grands maîtres du XVIIIe siècle et précédé l’avènement de Rossini. Rossini n’a écrit pour Velluti qu’un ouvrage de sa jeunesse sans importance. Il Crociato de Meyerbeer est le seul opéra connu où Velluti ait créé un rôle dont on puisse apprécier le caractère. Bien qu’il y ait encore quelques vieux castrats à la chapelle Sixtine à Rome et dans d’autres églises moins importantes de la péninsule, il n’est pas probable que les mœurs et les lois de notre époque permettent le retour de pareilles monstruosités. Les sopranistes ont donc disparu pour toujours de l’opéra italien, qu’ils ont dominé pendant plus d’un siècle. Ils ont été l’expression d’une forme de l’art qui n’existe plus et des virtuoses incomparables. Aussi nous proposons-nous de revenir sur ce sujet piquant, qui offre plus d’un genre d’intérêt, en racontant successivement aux lecteurs de la Revue l’histoire des plus célèbres sopranistes dont Velluti a été le dernier représentant.

P. SCUDO


ESSAIS ET NOTICES.

SYLVIE, par M. Ernest Feydeau

Les jeunes écrivains se plaignent fréquemment depuis quelques années de l’abandon où les laisse la critique, et dans ces derniers temps surtout l’accent de leurs plaintes a quelque chose d’amer et d’irrité. Ils ne comprennent pas, disent-ils parfois, les préférences de la critique pour certains livres, et peu s’en faut que quelques-uns ne voient dans ces préférences les indices d’une conspiration sourdement tramée contre les nouvelles générations. Ils seraient plus indulgens, s’ils savaient à combien d’injustices involontaires est exposé le critique le plus bienveillant, et à combien de préjugés innocens il obéit sans s’en douter. Voulez-vous connaître un de ces mille préjugés auxquels l’homme le plus juste obéit à son insu ? , Une formidable barricade de livres s’est élevée sourdement autour du critique, qui s’est levé un matin avec la ferme intention de la démolir, ainsi que l’y obligent sa conscience et son devoir ; mais par quel pavé littéraire commencera-t-il son œuvre de démolition ? Involontairement sa main s’étend sur ceux qui présentent la plus large surface, qui offrent une forme saisissable, qui en un mot sont le plus en vue. Lorsque le travail est achevé, on s’aperçoit souvent qu’on aurait pu tout aussi bien le mener à fin en attaquant la barricade par un autre côté, et qu’on aurait même dépensé moins de temps, de soins et de peine. Le préjugé du nom est un des plus puissans parmi ces préjugés involontaires auxquels obéit le critique. Il ne lit pas toujours un livre parce qu’il le croit bon, mais parce que l’auteur s’est acquis une certaine notoriété, parce que son nom est populaire, parce que ses opinions sont connues, parce qu’enfin il est intéressant et curieux de suivre les mouvemens d’un esprit dont on s’est occupé déjà, et de mesurer quel chemin il a fait depuis qu’on l’a quitté. Les innocens paient pour les coupables, et les inconnus pour les gens célèbres ; c’est un axiome aussi