Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/550

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tellement dans Constantinople que Chrysostome sentit le besoin de se justifier. Il le fit par un sermon que nous avons encore, où il prend pour texte ce passage significatif du psaume quarante-quatrième : « La reine s’est assise à la droite du roi. » — « Qu’on ne vienne pas me dire, s’écrie-t-il avec indignation, que si cet homme a été trahi, c’est la perfidie de l’église qui l’a livré : s’il n’avait pas abandonné l’église, il n’eût pas été trahi. — N’allez pas me dire : « C’est parce qu’il s’est réfugié ici, qu’il a été trahi ; non, non, l’église ne l’a pas abandonné, mais il a abandonné l’église ; il n’a pas été trahi dans les entrailles du sanctuaire, mais hors des limites de l’église, parce qu’il s’est soustrait à sa protection. » On sut plus tard qu’attiré par les promesses des agens de la cour, Eutrope s’était remis entre leurs mains, et qu’après l’avoir effrayé sur les mauvaises dispositions du peuple et des soldats, ces agens s’étaient engagés par serment, au nom de l’empereur, à ne pas toucher un cheveu de sa tête, s’il se laissait conduire à Chypre sans résistance. Le malheureux qui avait violé tant de sermons pareils au temps de sa grandeur s’abandonna à ces vaines paroles comme un enfant.

Tandis que le navire qui le portait cinglait vers l’île de Chypre, on instruisit son procès. L’empereur en chargea une commission de hauts personnages sous la présidence d’Aurélien, préfet du prétoire, un de ses plus intimes conseillers. Outre les méfaits et attentats déjà connus et répétés par toutes les bouches, les juges en découvrirent un qui constituait le crime de lèse-majesté au premier chef : l’usurpation des signes et ornements impériaux. On constata en effet que lors de la cérémonie de son consulat, Eutrope, plutôt à dessein que fortuitement, avait mêlé au costume ordinaire des consuls certains insignes réservés à la dignité des césars. Dès lors il n’y avait plus de doute sur le caractère à donner à l’accusation ; Eutrope était coupable de complot secret pour usurper l’empire, et la peine portée par les lois contre ce crime était la mort. Un pareil dénoûment cadrait mal avec les engagemens pris envers ce malheureux pour le tirer de son asile, et la conscience de l’empereur pouvait être inquiète. On concilia tout en expliquant au jeune prince que la vie n’avait été garantie qu’au prévenu contumace, menacé par la haine populaire, et nullement au condamné que réclamait la rigueur des lois, que d’ailleurs le serment de respecter sa tête regardait le seul territoire de Constantinople et non les autres parties de l’empire. Ces subtilités ne persuadant pas complètement Arcadius, Eudoxie, qui ne se voyait maîtresse ni de son mari ni de l’empire tant que l’eunuque respirait encore, insista fortement pour l’exécution de la sentence. De son côté. Gaïnas ne déposait point les armes, prétendant qu’on l’avait joué, et qu’il ne croirait au châtiment d’Eutrope que lorsqu’il pourrait toucher sa tête. Il put la toucher à loisir, car