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à l’industrie de ramener le Manytch et de le maintenir dans son ancien lit ?

En tout cas, on ne peut songer à creuser un canal maritime à travers l’isthme ponto-caspien. Pour faire descendre en pente douce les eaux de la mer d’Azof vers la Mer-Caspienne, il faudrait accomplir une œuvre bien plus colossale que le percement de l’isthme de Suez en vue d’un résultat incomparablement moindre. Le seuil du Manytch étant situé à 13 mètres au-dessus de la mer d’Azof et à plus de 38 mètres au-dessus du niveau de la Caspienne, les tranchées à creuser pour un canal de 3 mètres seulement n’auraient pas d’égales dans le monde ; le fossé, excavé dans la dure argile des steppes et peut-être à travers des assises de grès, atteindrait une profondeur de 29 mètres sur une distance de 50 kilomètres environ. Au contraire un canal d’eau douce alimenté par le Kalaous, le Kouma et tous les ruisseaux qui descendent des contre-forts du Caucase et des hauteurs d’Ergeni, dans la dépression du Manytch, serait, selon toute apparence, une œuvre facile. D’après M. Bergstræsser, il suffirait d’établir des barrages à tous les endroits où des branches latérales épuisent le fleuve pour obtenir à peu de frais une ligne navigable de la Caspienne au lac Chara-Chul-Ussun. Si en même temps on régularisait le cours du Manytch à travers les lacs, qu’on réunît en un même courant ses eaux, celles du Kouma et plusieurs ruisseaux qui se perdent aujourd’hui dans le désert, le canal ponto-caspien serait définitivement rétabli, et les embarcations d’un faible tonnage se rendraient sans peine d’une mer à l’autre mer. L’eau existe : il suffit d’en former un courant et de ne pas la laisser s’évaporer au milieu des steppes ou s’étaler en mares insalubres infestées par les moustiques. En pensant à l’ouverture possible du canal des deux mers, M. Bergstræsser se laisse emporter par son imagination aux rêves du plus brillant avenir. Il voit des villes commerciales se fonder aux embouchures des deux Manytch et au point de partage de leurs eaux ; il voit les steppes, ces régions aujourd’hui si arides et désolées, se couvrir de vergers et de champs de blé ; il voit des populations sédentaires s’établir en foule là où séjournent seulement pendant quelques mois des tribus de Tatars nomades. Les eaux d’inondation non utilisées pour le canal serviront à fertiliser les campagnes infécondes aujourd’hui ; les roseaux des lacs et l’argile du sol fourniront en abondance des matériaux de construction ; le bois de chauffage manque, il est vrai, mais on pourra le remplacer parfaitement par les déjections des bestiaux.

Il y a quelques mois à peine, trois explorateurs de la vallée du Manytch, MM. Kostenkof, Barbet de Marny et Kryjine, sont revenus de leur voyage beaucoup moins enthousiastes que leur devancier ; mais admettons un instant que les projets de M. Bergstræsser se réa-