Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/68

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Paris s’empara de la dictature en inventant, pour dissimuler sa conquête, le fameux mot de république une et indivisible. Quiconque osa lutter un moment contre cette domination d’une seule ville, dominée elle-même par ce qu’elle contenait de plus sanguinaire, fut accusé de fédéralisme et mis à mort. La division par départemens, au lieu d’être, comme l’avaient espéré Necker, le roi, l’assemblée, un moyen d’affranchissement, devint au contraire l’instrument du plus violent despotisme en brisant toute résistance organisée. L’assemblée constituante, poussant comme toujours les choses à l’extrême, avait confié dans chaque localité le pouvoir exécutif à des commissions électives : il en résulta naturellement un grand désordre, et lorsque Napoléon entreprit de restaurer presque toutes les institutions de l’ancien régime, il profita de cette faute pour rétablir les intendans sous le nom de préfets, et pour les rendre aussi absolus que jamais.

Il a fallu attendre jusqu’à la loi de 1833 pour restituer aux conseils-généraux de département le principe électif admis par l’édit de 1787, organisé par la constituante et disparu sous l’empire. La loi de 1836 sur les chemins vicinaux leur a rendu ensuite une partie de leurs anciennes attributions, et certes l’expérience a suffisamment témoigné en faveur de l’excellence de ces deux lois. Faut-il maintenant s’arrêter là et ne rien reprendre de plus dans les idées de Fénelon, de Turgot et de Necker ? Les attributions actuelles des conseils-généraux sont-elles tout ce qu’elles devraient être ? Ne pourrait-on pas leur donner, comme autrefois, une plus large part dans la direction de tous les travaux publics et dans l’administration de toutes les recettes locales ? Ne serait-il pas à propos d’examiner si la commission permanente de Necker, heureusement usitée en Belgique, n’aurait point aussi chez nous des avantages, sans porter atteinte à l’action légitime de l’autorité centrale ? Les conseils-généraux ne pourraient-ils pas exercer une influence quelconque sur le choix des membres de l’une au moins des deux chambres, soit en les nommant directement, soit en présentant des candidats ? La plupart de ceux que préoccupe l’excès de notre centralisation remontent pour la combattre aux souvenirs des anciens pays d’états ; mieux vaudrait faire appel à d’autres exemples. Ce n’est pas l’étendue des circonscriptions, c’est l’étendue des attributions qui importe. La résurrection des anciennes provinces n’est ni plus possible, ni plus désirable que celle des anciens ordres ; la véritable solution est dans les projets de Louis XVI et de l’assemblée constituante, qui voulaient fonder à la fois l’unité politique et l’autonomie administrative.


LEONCE DE LAVERGNE.