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défaillances qui nous affligent, et le sentiment de ce qui fit la force d’une autre époque nous permettrait de porter un jugement plus équitable sur les tentatives du présent.

La foi, l’enthousiasme, la rêverie, l’amour, l’espérance, sont les divins attributs de la jeunesse : elle ne cherche pas à se rendre compte de ses émotions et de ses croyances; elle se trompe avec un radieux mélange de sincérité et d’ardeur, et elle possède le don précieux de faire de ses mensonges quelque chose de meilleur et de plus vrai que nos vérités. Cette richesse juvénile est déjà la poésie : qu’au lieu d’être individuelle, elle appartienne à une génération tout entière; qu’après avoir préludé dans toutes ces imaginations éparses, elle rencontre une imagination d’élite, un talent prédestiné, qui lui donne la forme, le contour, l’accent, la vie, qui lui imprime puissamment sa propre originalité tout en acceptant ses vivifiantes influences, et voilà la poésie complète, la poésie telle qu’elle doit être pour posséder tout son prestige et exercer tout son empire. D’ordinaire cet épanouissement, nous dirions presque cette explosion, se combine avec un moment favorable où tout l’accroît et l’active, où l’instrument est le mieux d’accord avec l’oreille, où ses vibrations sonores s’étendent librement dans l’espace, où le public est admirablement disposé à écouter, à comprendre, à applaudir l’œuvre qui résume et fixe ce qu’il a vaguement éprouvé. C’est là l’âge d’or pour les poètes, et nous en avons eu, il y a trente ou quarante ans, une phase brillante et rapide. Cependant la maturité arrive, et quand les faits extérieurs se coalisent pour rendre cette maturité plus prompte et plus âpre, la vieillesse ne se fait pas attendre. L’expérience, aidée de sa terrible compagne, l’analyse, détache peu à peu de notre front ces couronnes charmantes, mais fragiles, qu’y avaient tressées d’une main légère les fées riantes de la jeunesse. On devient plus savant, plus froid, plus observateur; on serre de plus près la réalité. Dans ce mystérieux travail où il s’appauvrit de tout ce qu’il croit conquérir, l’homme s’éloigne chaque jour de ce domaine des idées générales, des sentimens généraux, qui le mettaient à son insu en contact avec d’autres âmes, aussi riches d’abord et bientôt aussi dépouillées que la sienne. Faute de cet accord, il est trop aisé de prévoir ce que devient la poésie.

N’est-ce point là l’histoire de ce qui s’est passé sous nos yeux depuis près d’un demi-siècle dans l’ait comme dans les lettres? Aux belles passions, aux rayonnantes illusions de la jeunesse, ont succédé l’observation, le calcul, l’habitude de compter avec les plus doux enchantemens de l’imagination et du cœur, de réduire à leur expression la plus simple et parfois la plus basse ces conventions aimables dont vivaient les âmes faciles à la poésie; l’esprit positif, en