Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/781

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
779
LA QUESTION ROMAINE.

que la pensée politique qui dirigea Constantin n’était point neuve dans l’empire, et avait été conçue par Dioclétien, peu suspect assurément de tendresse pour les chrétiens et de vénération pour les papes, lequel avait eu le projet de désigner une nouvelle capitale et de la fixer à Andrinople ou à Césarée. Or, tandis que la liberté périssait dans l’empire, elle se réfugiait ou, pour mieux dire, elle naissait au sein de l’église. Pour la première fois, les principes de la spontanéité humaine et de la liberté morale s’y allumaient au foyer d’une religion. Le principe de l’égalité des hommes devant Dieu, qui devait un jour s’emparer de la société civile et y introduire l’égalité devant la loi, était vivant dans l’église chrétienne. L’église nourrissait aussi dès lors cet autre principe de l’égalité et de la fraternité des nations qui devait enfanter plus tard les droits des peuples, que la tâche de notre siècle est de faire prévaloir. L’église en outre avait un autre principe de vie, elle vivait du principe d’élection. Les évèques puisaient dans l’élection cette force vivace qui s’était éteinte dans la société civile sous le poids de la centralisation et du despotisme. Ce furent les véritables sources de la puissance et de la grandeur du sacerdoce chrétien. Les Barbares arrivent, la puissance centrale tombe, l’empire est effacé de l’Occident. La puissance des évêques demeure seule debout, car c’était dans l’empire la seule force qui procédât de la spontanéité humaine, qui vécût par la liberté, qui se retrempât sans cesse par l’élection dans le peuple. Aussi l’évèque nous apparaît partout durant l’invasion des Barbares comme le représentant, le patron, en même temps que le pasteur des populations conquises, et comme un médiateur entre les villes subjuguées et les conquérans.

Ainsi s’exerça l’influence et s’agrandit le rôle vivace de la hiérarchie catholique et de la papauté jusqu’au moyen âge ; ainsi, par la médiation du sacerdoce et de l’épiscopat chrétiens, les gouvernemens des successeurs des Barbares, représentans de la conquête, s’imprégnèrent progressivement de la civilisation des vaincus. La conquête avait été accomplie par des tribus diverses : l’Europe s’était de la sorte trouvée partagée en plusieurs nationalités et constituée sous des gouvernemens différens ; mais les vaincus, fils de l’empire unique, reconnaissaient toujours avec un sentiment de consolation et de fierté l’ancienne unité survivant dans l’unité de l’église, dans cette organisation sacerdotale et épiscopale reliée à un pouvoir unique et central, celui du pape. C’était aussi pour les clergés locaux un grand avantage de pouvoir au besoin recourir au patronage d’un chef vénéré, dont l’éloignement augmentait le prestige. Au milieu des luttes où les engageaient fréquemment leurs intérêts et ceux des populations qu’ils représentaient, ils trouvaient une