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haute que le sacré collége, pépinière des papes et leur conseil permanent dans l’administration des affaires ecclésiastiques. La nature et la composition du sacré collége n’ont pas été moins gravement altérées par les nécessités du temporel. Le gouvernement politique d’un état est une œuvre laïque de sa nature ; à faire des œuvres laïques, on devient nécessairement laïque en dépit de la dénomination et du costume. Le gouvernement temporel devait donc introduire dans la cour de Rome un élément essentiellement laïque, et à la faveur de la confusion des deux pouvoirs, cet élément laïque devait fatalement s’insinuer dans le gouvernement même de l’église. C’est ce qui est arrivé par la carrière de la prélature et par le recrutement du sacré collége au sein des prélats. Ceux-ci sont les fonctionnaires du pouvoir temporel : ils n’ont d’ecclésiastique que la robe et le célibat ; ils peuvent n’être pas dans les ordres. Ce sont des préfets, des gouverneurs de province (légats ou délégats) ; ils deviennent des ministres de la police (governatore di Roma), de la guerre (prefetto delle armi) ; ils sont magistrats (auditore di Rota), préfets des eaux et forêts ou des archives, administrateurs d’hôpitaux (prefetto delle acque, degli arcivi, commendatore di San Spirito, etc.). Le cardinalat est le couronnement obligé de ces carrières toutes laïques. Au bout d’un certain temps passé dans ces emplois, ces fonctionnaires, qui n’ont jamais rempli de missions ecclésiastiques, doivent entrer dans le sacré collége. Le degré le plus élevé de l’apostolat, la charge la plus auguste sur laquelle s’appuie l’infaillibilité de l’église, sont ainsi marqués comme le dernier terme d’avancement et le bâton de maréchal des petits fonctionnaires administratifs ou politiques d’un petit état. Et qu’on ne veuille point atténuer la gravité de cette intrusion de l’élément laïque dans le gouvernement de l’église, qui a été la conséquence du pouvoir temporel. Depuis Sixte-Quint, l’église, dont la papauté a concentré en elle tous les pouvoirs, est gouvernée surtout par l’intermédiaire des congrégations de cardinaux, la plupart fondées par ce pape, et que les papes consultent toujours lorsqu’ils ont à prendre de graves décisions. En droit, sans doute le pape n’est point lié par l’avis des congrégations ; mais en fait il n’y a pas d’exemple qu’un pape se soit écarté de la décision d’une congrégation, lorsque celle-ci, y a persisté. Or les congrégations ne peuvent être formées que de cardinaux in curia, comme on dit à Rome, et parmi les cardinaux in curia sont en majorité ceux qui sont parvenus par les fonctions laïques au sacré collége. Il y a maintenant vingt-neuf cardinaux in curia ; sur ce nombre, dix-sept ont eu une carrière exclusivement laïque ; six ont parcouru une carrière mixte et ont rempli des fonctions laïques et ecclésiastiques ; six seulement n’ont occupé que des emplois ec-