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LA QUESTION ROMAINE.

tuel s’est rétréci. Chose curieuse, la papauté a nui de deux façons contraires aux intérêts du catholicisme par le caractère exclusivement italien que le pouvoir temporel lui a donné. Elle a nui au catholicisme au XVIe siècle, parce que, s’étant placée à la tête de la civilisation italienne, elle en avait contracté tous les vices ; elle nuit aujourd’hui à sa mission religieuse, parce qu’elle veut survivre à cette forme condamnée de la civilisation italienne, parce qu’en s’obstinant à la possession d’une souveraineté temporelle, qui n’est plus que le dernier débris d’une organisation politique de la péninsule usée par le temps, elle s’oppose intempestivement à la reconstitution de l’Italie, que veulent le présent et l’avenir. Son malheur est d’avoir été trop italienne autrefois et de ne pas l’être assez aujourd’hui.

On sait de quelle immense puissance morale les papes ont joui au moyen âge et comment ils ont souvent exercé cette puissance dans le domaine politique d’une façon élevée et profitable aux peuples. Le moyen âge n’a mérité ni tout le bien ni tout le mal que l’on a dit de lui. Le moyen âge, quoi qu’en pensent quelques-uns de ses apologistes, ne connut jamais cette liberté savante et douce dont notre siècle a eu la conception, mais qu’il a tant de peine à réaliser. Ce fut pourtant, dans sa belle période, une époque de liberté naïve, instinctive sous ses formes grossières et brutales. C’était une barbarie en travail d’une civilisation ; tout y était en lutte, tout y était effort, et rarement dans l’histoire les énergies naturelles des sociétés et des individus se sont si vigoureusement déployées. Féodalité, royauté, bourgeoisie, tout se débrouillait à peu près partout de la même façon, suivant un plan dont les acteurs n’avaient guère conscience, mais qui était commun à presque toutes les populations européennes. La religion surtout étendait un principe dominant d’unité sur cette confusion vivace. Ses représentans et l’expression la plus haute de l’organisation catholique, la papauté, y apportaient en général l’idée de la justice : ils défendaient les faibles, ils résistaient aux puissans. Leur force était surtout une force d’opinion : c’était l’opinion des masses qui les plaçait au-dessus des dominations de la terre, qui leur déférait la suprématie sur les empereurs et sur les rois. Le propre des forces morales, des forces d’opinion, est de n’être jamais plus grandes et plus irrésistibles que lorsqu’elles ont le moins de force matérielle à leur disposition. Voyez les grands papes du moyen âge, les Grégoire VII, les Innocent III. Au moment où ils ébranlaient des nations, où ils déposaient des souverains, ils n’avaient chez eux, sous leur main, aucun des attributs et des instrumens de la force matérielle ; ils étaient à la merci d’une émeute de la populace ou des insultes de quelque baron féodal. Les humiliations, les oppressions qu’ils subissaient