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assurément un curieux spectacle. Il y a là tout un peuple qui est sous le souffle d’un esprit nouveau, qui est prêt à s’ébranler et à marcher dans des voies inconnues. Les publications révolutionnaires et clandestines s’y répandent presque avec la régularité d’une presse périodique. On cite, parmi ces manifestes les plus récens qui ont été distribués à Saint-Pétersbourg, deux écrits dédiés aux grands russes et une proclamation adressée à « la jeune génération. » L’une de ces feuilles clandestines exprime le mécontentement des adversaires des récentes réformes. Elle s’élève contre l’émancipation, qui prépare, suivant elle, un nouveau Pugatschef, et contre l’incapacité de la dynastie. L’écrit adressé à la jeune génération parle aux paysans et aux soldats : il leur dénonce la noblesse et les Allemands, dont il place même la personnification dans la famille impériale. L’autre manifeste a un caractère communiste, et n’est pas moins politique que les deux premiers : il faut que la terre appartienne aux paysans sans rachat ; la Pologne doit être libre ; une convention fondera en Russie le gouvernement constitutionnel. C’est en vain que les propriétaires qui reviennent à Saint-Pétersbourg, après avoir réglé sur leurs terres leurs nouveaux intérêts et après avoir observé les premiers effets de l’émancipation, témoignent d’une grande confiance ; le gouvernement russe est troublé par ces publications hostiles, dont il ne peut empêcher la diffusion. La complicité que les agens inférieurs, les tchinovniks, prêtent aux mécontens paralyse les efforts du gouvernement russe contre l’opposition des publications clandestines. La classe nombreuse et si corrompue d’ailleurs des tchinovniks contrarie l’action du gouvernement par la force d’inertie qu’elle possède. Les dernières nouvelles de Pétersbourg donnent à penser que le ministère est sérieusement ému d’un tel état de choses, et qu’il est décidé a le combattre par des mesures énergiques. Il vient de fermer l’université de Saint-Pétersbourg, Ainsi ce n’est point seulement en Pologne que se concentrent les préoccupations et les soucis du pouvoir. Là d’ailleurs se poursuit cette agitation surprenante et si neuve qui prend pour forme les manifestations de la religion et de la prière. De plus en plus la Pologne se confirme dans cette attitude de nation suppliante poussant le même cri de douleur infatigable. Les Polonais ne sont point en peine de perpétuer leurs services religieux. Ils ont des anniversaires nationaux pour chaque jour de l’année. Ils célébraient par exemple le 26 septembre la mémoire d’un évêque mort il y a deux cent trente-huit ans ; la mort de cet évêque avait été suivie d’une bataille qui coûta la mort à cinq mille Russes et fut gagnée par un hetman lithuanien. Le 5 octobre, un service pour la prospérité de la patrie a été célébré par les employés des administrations publiques. L’autorité n’a point voulu s’y opposer dans la crainte de n’être point obéie par ses propres fonctionnaires. La cathédrale de Varsovie était comble ; les corporations s’y étaient réunies bannières en tête avec des cravates tricolores. Le télégraphe nous apprend que le gouvernement russe a pu empêcher la grande manifestation annoncée pour le 10 octobre à Horodlo. Le rendez-vous était pris dans