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du matin au soir. J’avais fait la connaissance de Hexe-Baizel, qui était alors servante à la ferme du Bois-de-Chênes, chez le père de Catherine. Elle m’apporta vingt-cinq louis en dot, et nous vînmes nous établir dans la caverne des Arbousiers.

Divès se tut, et Hullin tout rêveur lui demanda : — Ce trou te plaît donc beaucoup, Marc ?

— S’il me plaît ?… c’est-à-dire que je ne voudrais pas aller demeurer dans la plus belle maison de Strasbourg, quand on me ferait deux mille livres de rente. Il y a vingt-trois ans que je cache ici mes marchandises : sucre, café, poudre, tabac, eau-de-vie, tout y passe. J’ai huit chevaux toujours en route.

— Mais tu ne jouis de rien.

— Je ne jouis de rien ! Tu trouves donc que ce n’est rien de se moquer des gendarmes, des rats de cave, des douaniers, de les faire enrager, de les dépister, d’entendre dire partout : — Ce gueux de Marc,… est-il fin !… Comme il vous mène ses affaires !… Il mettrait toute la régie sur les dents,… et ceci,… et cela… Hé ! hé ! hé ! — Je te réponds, moi, que c’est le plus grand plaisir du monde. Et puis les gens vous aiment : on leur vend tout à moitié prix ; on rend service aux pauvres, et l’on s’entretient l’estomac chaud… On fume tranquillement sa pipe, on est un homme considéré, on se caresse la barbe.

— Oui, mais quels dangers !

— Bah ! jamais un douanier n’aura l’idée de passer la brèche.

— Je le crois bien ! pensa Hullin en songeant qu’il lui faudrait de nouveau franchir le précipice.

— C’est égal, reprit Marc, tu n’as pas tout à fait tort, Jean-Claude. Dans les premiers temps, lorsqu’il me fallait entrer ici avec ces petites tonnes-là sur l’épaule et ces lingots de plomb, je suais à grosses gouttes ; maintenant j’y suis habitué.

— Et si le pied te glissait ?

— Eh bien ! ce serait fini ! Autant mourir embroché dans un sapin que de tousser des semaines et des mois sur une paillasse.

Divès éclairait alors de sa lanterne les piles de tonnes entassées jusqu’à la voûte. — C’est de la poudre fine anglaise, dit-il ; ça coule comme des grains d’argent sur la main, et ça chasse en diable. Il n’en faut pas beaucoup, un dé à coudre suffit. — Et voici du plomb sans mélange d’étain Dès ce soir, Hexe-Baizel fondra des balles. Elle s’y connaît : tu verras.

Ils s’apprêtaient à reprendre le chemin de la brèche, lorsque tout à coup un bruit confus de paroles se mit à bourdonner dans l’air. Marc souffla sa lanterne, et ils restèrent plongés dans les ténèbres. — Quelqu’un marche là-haut, dit tout bas le contreban-