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décider papa Hullin ; moi, je ne demande pas mieux ; je suis contente ; je trouve que c’est très bien. »

— Eh bien !… tu viendras avec nous ;… c’est entendu.

Alors ce fut un cri de joie dont toute la cassine retentit : — Oh ! que vous êtes bon ! — Et d’un tour de main les larmes furent essuyées : — Nous allons partir, courir les bois, faire la guerre !

— Hé ! s’écria Hullin en hochant la tête, je le vois maintenant, tu es toujours la petite heimathslôs. Allez donc apprivoiser une hirondelle !

Puis, l’attirant de nouveau sur ses genoux : — Tiens, Louise, voilà maintenant douze ans passés que je t’ai trouvée dans la neige ;… tu étais toute bleue, pauvre petite ! Et quand nous fûmes dans la baraque, près d’un bon feu, et que tu revins tout doucement, la première chose que tu fis, ce fut de me sourire. Et depuis j’ai toujours voulu ce que tu as voulu. Avec ce sourire-là, tu m’as conduit par tous les chemins.

Alors Louise se mit à lui sourire, et ils s’embrassèrent.

— Eh bien ! donc, regardons les paquets, dit le brave homme avec un soupir. Sont-ils bien faits au moins ?

Il s’approcha du lit et regarda tout émerveillé ses plus chauds habits, ses gilets de flanelle, tout cela bien brossé, bien plié, bien empaqueté, puis le paquet de Louise avec ses bonnes robes, ses jupes et ses gros souliers en un bel ordre. À la fin, il ne put s’empêcher de rire et de s’écrier : — Ô heimathslôs, heimathslôs, il n’y a que vous pour faire les beaux paquets, et vous en aller sans tourner la tête !

Louise sourit. — Vous êtes content ?

— Il le faut bien !… Mais, pendant tout ce bel ouvrage, tu n’as pas songé, j’en suis sûr, à préparer mon souper.

— Oh ! ce sera bientôt fait ! Je ne savais pas que vous reviendriez ce soir, papa Jean-Claude.

— C’est juste, mon enfant… Apprête-moi donc quelque chose, n’importe quoi, mais vite, car j’ai bon appétit. En attendant, je vais fumer une pipe.

Il s’assit au coin de l’établi et battit le briquet tout rêveur. Louise courait à droite, à gauche, comme un véritable lutin, ranimant le feu, cassant les œufs dans la poêle, et faisant sauter une omelette en un clin d’œil. Jamais elle n’avait été si leste, si riante, si jolie. Hullin, le coude sur la table, la joue dans la main, la regardait faire gravement, pensant à tout ce qu’il y avait de volonté, de fermeté, de résolution, dans ce petit être, léger comme une fée et décidé comme un hussard. Au bout d’un instant, elle vint lui servir l’omelette sur un grand plat fleuronné, le pain, le verre et la bouteille. — Voilà, papa Jean-Claude, régalez-vous !