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— Voilà donc une affaire entendue et bien comprise ? demanda Hullin.

— Oui, oui, c’est entendu.

— Eh bien ! camarades, s’écria le brave homme d’un accent joyeux, allons nous réchauffer le cœur avec quelques bons verres de vin. Il est dix heures, que chacun retourne à son village et fasse ses provisions. Demain matin au plus tard, il faut que tous les défilés soient occupés solidement.

Ils sortirent alors de la hutte, et Hullin, en présence de tout le monde, nomma Labarbe, Jérôme et Piorette chefs de défilés ; puis il dit à tous ceux de la Sarre de se réunir le plus tôt possible près de la ferme du Bois-de-Chênes avec des haches, des pioches et des fusils. — Nous partirons à trois heures, leur dit-il, et nous camperons sur le Donon, en travers de la route. Demain au petit jour nous commencerons les abatis.

Il retint le vieux Materne et ses deux garçons Frantz et Kasper, leur annonçant que la bataille commencerait sans doute au Donon, et qu’il fallait de ce côté de bons tireurs, ce qui leur fit plaisir.

Au moment où les partisans allaient se séparer pour regagner leurs villages, voilà que tout au loin on vit poindre dans le sentier des Trois-Fontaines un homme grand, maigre, enfourché sur une longue bique rousse, la casquette de peau de lièvre à large visière plate enfoncée jusqu’au cou, le nez en l’air. Un grand chien à longs poils noirs bondissait près de lui, et les pans de son immense redingote flottaient comme des ailes. Tout le monde s’écria : — C’est le docteur Lorquin de la plaine, celui qui soigne les pauvres gens gratis ; il arrive avec son chien Pluton : c’est un brave homme !

En effet, c’était bien lui ; il galopait en criant : — Halte ! arrêtez… halte !…

Et sa face rouge, ses gros yeux vifs, sa barbe d’un brun roussâtre, ses larges épaules voûtées, son grand cheval et son chien, tout cela fendait l’air et grandissait à vue d’œil. En deux minutes, il eut atteint le pied de la montagne, traversé la prairie, et il déboucha du pont en face de la hutte. Alors d’une voix essoufflée il se prit à dire : — Ah ! les sournois !… qui veulent entrer en campagne sans moi ! Ils me le paieront !…

Et frappant sur un petit coffre qu’il portait en croupe : — Attendez, mes gaillards, attendez… J’ai là dedans quelque chose dont vous me donnerez des nouvelles. J’ai là dedans de petits couteaux et des grands, des ronds et des pointus, pour vous repêcher les balles, les biscaïens, les mitrailles de toute sorte dont on va vous régaler.