Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/179

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rai qu’un genre d’expériences qui a beaucoup occupé dans ces derniers temps les inventeurs. Tout le monde convient que le chiffon se fait rare, qu’il faut beaucoup de mains pour le recueillir, qu’il en coûte beaucoup de frais pour l’amener de l’étranger dans la Grande-Bretagne, et l’on s’est demandé s’il n’y aurait point moyen de le remplacer par une autre substance. Cette question d’ailleurs n’est point nouvelle. Il existe à la bibliothèque du British Museum un livre écrit en hollandais et portant la date de 1772, lequel contient plus de soixante spécimens de papier fait avec différens matériaux. Le plus curieux est que toutes ces expériences sont l’ouvrage d’un seul homme. D’un autre côté, depuis quelque temps, la paille du blé a pris rang à côté du chiffon dans certaines manufactures anglaises de papier. Faut-il proclamer cette innovation comme une conquête ? D’abord la paille demande à être traitée avec de grands soins et préparée selon une méthode très sûre : autrement le papier qu’on en tire ne tarde point à s’effriter sous les doigts ; ensuite la perte qu’elle subit durant la fabrication et la main-d’œuvre qu’elle exige réduisent de beaucoup la somme des avantages qu’on en espérait. On fait pourtant en Angleterre d’assez beau papier avec la pâte de la paille mêlée à la pâte du chiffon de linge ou de coton ; mais qui ne voit que cette première substance ne peut guère être considérée jusqu’ici qu’à titre d’auxiliaire ? Différentes autres substances indigènes telles que le foin, les tiges de pommes de terre, les feuilles du maïs, l’écorce de plusieurs arbres, ont été mises à contribution par la chimie pratique avec plus ou moins de bonheur. J’ai même assisté en Belgique, dans la manufacture de MM. Guilmot, à des essais ingénieux pour faire du papier avec de la sciure de bois[1] ; mais les fabricans enthousiastes de l’Angleterre ont tourné surtout leurs regards vers les plantes exotiques. De telles recherches, qui peuvent ouvrir un champ nouveau à l’industrie, sont à coup sûr fort intéressantes, et j’en signalerai volontiers quelques-unes. Il y a une vingtaine d’années qu’un fabricant de Hull, M. John Murray, fit connaître la valeur du phormium tenax, ou lin de la Nouvelle-Zélande, comme pouvant remplacer le chanvre dans la fabrication des cordages ; avec les feuilles de cette même plante, il obtint un papier tant soit peu grossier, mais d’une solidité remar-

  1. La Société pour l’encouragement des arts, Society for encouragement of arts, a publié dans ses transactions (1836) un grand nombre d’expériences sur le sujet qui nous occupe. La bibliothèque de cette même société possède un livre écrit en allemand par M. Shäffer, qui contient des faits très curieux. Un jour le contre-maître de M. Shäffer avait acheté un oiseau rare dont la nourriture naturelle consiste en pommes de pin. À peine l’oiseau eut-il reçu son repas, qu’on le vit déchirer avec soin ces cones pièce par pièce de manière à leur imprimer la forme d’une boule d’étoupe, et c’est alors seulement qu’il la mangeait. Shäffer reconnut que cette substance ainsi préparée était bonne à faire du papier. Il se mit donc à reproduire sur la pomme de pin, par des moyens mécaniques, l’ouvrage délicat que l’oiseau accomplissait avec son bec.