Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/224

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

systématiques et plus originales. Il n’est plus question de vitalisme au-delà du Rhin, le matérialisme s’y affirme audacieusement ; des écrivains, des savans, animés d’un zèle ardent, d’un talent incontestable, déchirent tous les voiles de l’ancienne métaphysique, la frappent avec la fureur des iconoclastes qui brisaient les idoles. Enivrés par les découvertes de la science moderne, amis ardens du progrès politique et social, ils accusent la métaphysique d’avoir endormi trop longtemps leur patrie dans les sophismes et les chimères, de l’avoir rendue indifférente à la liberté en lui montrant toutes choses soumises à d’éternelles et nécessaires contradictions. Charles Vogt, Moleschott et leurs élèves mettent leur matérialisme au service du radicalisme politique. Le premier, arrivé jeune à la renommée en collaborant aux travaux d’Agassiz et auteur d’ouvrages scientifiques très estimés, prit place à l’extrême gauche du parlement de Francfort en 1848, et y prononça quelques discours pleins d’éloquence ; aujourd’hui proscrit, il a trouvé un asile à Genève, où il est devenu professeur de géologie et membre du conseil d’état. Suivant Vogt, le cerveau sécrète la pensée comme le foie sécrète la bile ; le corps n’est qu’une combinaison particulière de substances soumises à divers mouvemens, l’âme n’est que la résultante des forces complexes développées dans l’organisme animal. Ces doctrines sont exposées dans les Tableaux de la Vie animale du professeur de Genève et dans ses Lettres physiologiques. « Le développement des facultés intellectuelles, dit Vogt, marche de front avec le développement du cerveau, avec le perfectionnement de ses parties, avec la consolidation de sa substance, absolument de la même façon que dans d’autres organes le développement de la fonction marche de pair avec le développement de l’organe. Il faudrait par conséquent admettre pour ces fonctions la même théorie que pour celles du cerveau, et prétendre que les fonctions de la vue, de l’ouïe, de la circulation du sang et de la respiration ne sont pas non plus inhérentes aux organes, et qu’elles se maintiennent après l’anéantissement des organes, de telle sorte que la vision, l’ouïe, la circulation et la respiration subsisteraient encore après la mort, alors même que l’œil et l’oreille, le cœur et les poumons seraient depuis longtemps anéantis et décomposés. Qu’il soit absurde d’admettre une pareille chose, cela saute aux yeux. — Ainsi, dira-t-on, voilà la porte ouverte au simple matérialisme ! Quoi ! l’homme, tout comme l’animal, serait une machine, sa pensée le résultat d’une organisation déterminée, la libre volonté détruite par conséquent ! Chaque modification de la fonction supposerait dans l’organe un changement matériel qui le précéderait ou plutôt qui aurait lieu en même temps ! Je ne puis répondre qu’en disant : En vérité, c’est ainsi qu’il en est ; il en est vraiment ainsi. »