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à notre propre espèce. Toutefois la métaphysique et la science emploient des méthodes différentes : la première envisage l’âme comme un tout indivisible, comme une entité idéale qui se suffit à elle-même, et se passe du monde extérieur ; la science au contraire cherche à en faire l’analyse, l’envisage sous des faces diverses, l’étudie par le dehors et dans ses rapports avec l’ensemble de la création. Il n’est pour ainsi dire aucune branche des connaissances humaines qui ne fournisse quelque élément à cette curieuse analyse : n’est-il pas temps que la métaphysique puise enfin dans les trésors accumulés par la physique, la chimie, la physiologie, la zoologie, l’ethnologie, l’histoire ? Une science supérieure, générale, qui comprendrait à la fois les sciences naturelles et les sciences historiques, pourrait devenir la base solide d’une philosophie dont les doctrines, établies a posteriori et non préconçues comme celles de la vieille métaphysique, seraient le résumé de tous les événemens, de tous les rapports, de toutes les lois dont ce monde est l’expression à la fois permanente et éphémère, toujours ancienne et toujours nouvelle.

Sans doute une pareille science restera toujours inachevée ; mais quelle doctrine pourrait tenir l’esprit humain au repos ? Accuser l’érudition et la science de ne fournir que des solutions incomplètes, c’est un reproche qu’on peut aisément retourner contre la philosophie spéculative : combien n’a-t-elle pas déjà élevé d’édifices qu’elle déclarait immortels et dont nous n’apercevons plus que les ruines ! Au lieu de flotter sans cesse entre les systèmes les plus opposés, depuis le matérialisme le plus brutal jusqu’à l’idéalisme le plus insaisissable, qu’elle s’allie de bonne foi à la science et assoie enfin les croyances humaines, non sur une certitude absolue (elle n’est pas à notre portée), mais sur une certitude relative, appuyée sur un ensemble de lois de plus en plus compréhensives. Des tentatives récentes, comme celles de M. Tissot, un philosophe qui cherche des secours dans la science, de M. Carus, un physiologiste qui essaie de fonder une métaphysique, montrent que des esprits distingués sont tout prêts à signer cette alliance. Des deux parts, on y trouvera des avantages : la science ne perd rien de sa rigueur quand elle assigne à ses recherches un but élevé et général ; la philosophie éclaire le problème de l’âme, quand elle demande à la physiologie pourquoi les phénomènes de la vie ne peuvent s’expliquer par le simple jeu des forces physiques et chimiques, à la zoologie quelle est la nature de l’instinct, à la médecine quel rôle appartient au corps dans les maladies de l’âme, à l’âme dans celles du corps ; quand elle interroge l’ethnologie afin d’apprendre en quoi les races diffèrent les unes des autres, l’histoire et l’érudition pour