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Le capitaine de frégate Bourdais commença les opérations contre My-thô le 27 mars. Il avait sous ses ordres la Mitraille, capitaine Duval, la canonnière en fer n° 18, capitaine Peyron, la canonnière n° 31, capitaine Mauduit-Duplessix. Le capitaine Bourdais était l’homme le moins capable de se laisser attendrir ou rebuter. On savait qu’il ne ménagerait rien pour réussir. C’est ce qu’il fit avec une exagération fébrile qui a frappé fortement ceux qui l’ont vu à l’œuvre. Un boulet de 10 l’arrêta net le 10 avril, au moment où il atteignait le but. Il avait alors son guidon sur la canonnière n° 18 du lieutenant de vaisseau Peyron. La canonnière ne s’en avança pas moins comme un être animé, doué d’audace et de résolution. La décharge qui avait tué le capitaine de frégate Bourdais était la dernière. Lorsqu’on débarqua au pied du fort, il était évacué.

L’armée assaillante se composait alors de neuf cents combattans; elle avait deux pièces de 2 rayées, deux pièces de 4 rayées, huit obusiers de montagne. Les avant-postes furent établis à 1,200 mètres de My-thô. Le lendemain, dans la soirée du 11 avril, une reconnaissance se porta jusqu’à 200 mètres de la citadelle. Au même moment, les feux de l’escadrille de l’amiral Page paraissaient sur le Cambodge. L’amiral venait de forcer les estacades, sous le feu des forts, avec la Dragonne, capitaine Galley, la Fusée, capitaine Bailly, le Lily, capitaine Franquet, et le Sham-Rock, capitaine Rieunier. Cette heureuse coïncidence épouvanta les Annamites, qui évacuèrent la place après avoir incendié leurs magasins de riz.

Tels sont les résultat obtenus en deux mois par l’armée de Cochinchine contre des ennemis presque sauvages et sous le plus terrible des climats, malgré le choléra et la peste. Les Annamites disaient aux Français : « Vous êtes des lions, mais nous sommes des renards, et nous vous prendrons; » mais ils furent frappés de vertige par la prise de My-thô, et ce coup a suffi pour les abattre. En quarante-cinq jours, une petite armée de trois mille hommes a triomphé d’un gouvernement absolu, ferme, puissamment centralisé, et qui n’est pas affaibli par la rébellion comme celui de la Chine. Elle a dispersé une armée qui ne manque pas de bravoure, bien organisée, qui combat, non pas avec des flèches comme les Tartares de Pa-li-kiao, mais avec d’excellens fusils à pierre, qui obéit aveuglément, qui sait se garder et élever de solides retranchemens avec une rapidité extraordinaire. Elle a culbuté des lignes savamment fortifiées, enlevé un camp formidable, pris les forts de Tong-kéou, de Rach-tra, de Tay-ning, et tant d’autres moins importans. L’ennemi a brûlé ses magasins, ses arsenaux, ses jonques de guerre; les plus belles provinces de l’Annam sont conquises, l’esprit militaire de la seule armée de l’Asie est abattu. Douze cents lieues carrées de terrain sont à nous, le cours du Cambodge est exploré jusqu’à Chandoc, et la puissance du nom français, reconnue par les rois sauvages du Lao et tous les tributaires du roi de Siam, se fait sentir aujourd’hui jusqu’aux sommets des monts Himalaya.


LEOPOLD PALLU.



LE GÉNÉRAL SCOTT A SAN-FRANCISCO.

C’était en octobre 1859; je me trouvais à San-Francisco, de retour d’une excursion aux mines du nord de la Californie. À cette époque venait d’éclater