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commandées par d’anciens troupiers de nos guerres d’Afrique. Tout le monde s’était porté au-devant de Scott, et personne n’avait voulu manquer à l’appel.

La revue terminée, le général monta en voiture. Le modeste véhicule, peut-être loué sur place, était traîné par deux chevaux, et le cocher était plus que simplement vêtu. A côté de l’illustre envoyé, que son âge seul signalait à l’attention publique, et qui ne portait aucune décoration, aucun uniforme chamarré d’or et de broderies, était assis l’un des premiers fonctionnaires du pays, d’une tenue non moins bourgeoise. C’est dans ce démocratique équipage que l’on se mit à parcourir la ville. Dans la principale rue, la belle rue dite de Montgomery, le général passa au-dessous d’un arc de triomphe d’un style des plus primitifs; on l’avait jeté la veille même de la fenêtre d’une maison à l’autre maison vis-à-vis. Autour de cet arc étaient entrelacées quelques guirlandes avec le nom des victoires remportées par le vénérable guerrier. Les noms mexicains et indiens qu’on lisait autour du cintre indiquaient suffisamment quels avaient été les ennemis battus. Tel était, avec les coups de canon, le seul luxe officiel déployé; encore n’est-il pas prouvé que l’élan spontané des citoyens, que l’on respecte toujours en Amérique, n’eût pas seul fait en ce cas tous les frais de la réception.

Le cortège continuant sa marche, quelques gardes nationaux vinrent s’y joindre, à cheval ou à pied. Dans le nombre, je reconnus des Français, justifiant, sous le ciel californien, l’amour de notre nation pour l’éclat des fêtes publiques. En tête marchaient les sapeurs, dont plusieurs avaient oublié leur barbe, et avec eux la musique, qui faisait entendre de réjouissantes fanfares. Appelés par le bruit, plusieurs citoyens de bonne volonté vinrent grossir le cortège, sans façon et sans qu’on les en empêchât. Je les vois encore : il y en avait en paletot et en blouse, en veste ou en habit. Ils marchaient avec dignité et presque avec orgueil, et leur figure rayonnait de joie. Puis, comme pour couronner cette fête de famille, aucune trace de policeman.

Au milieu des hourras frénétiques, répétés à chaque instant trois fois suivant l’habitude américaine, on arriva enfin à l’hôtel où le général avait fait retenir ses appartemens. Dans le parcours, le vieux soldat saluait galamment le public, surtout les dames aux fenêtres, et montrait à la foule sa tête blanche et son visage serein. Quelques jours après, il partait pour San-Juan sur le vapeur postal. Apportant un grand esprit de calme et de conciliation dans une affaire que le général américain Harney avait singulièrement envenimée, il n’eut qu’à paraître pour pacifier le différend et fixer les conditions d’un accord avec le représentant anglais. Par le retour du vapeur, il rentra à San-Francisco. L’infatigable vieillard avait fait eu mer près de trois mille lieues pour remplir sa mission; il en fit presque autant pour s’en retourner à Washington plus modestement qu’il n’était venu, et tout fut dit.

La réception faite à Scott par les habitans de San-Francisco m’avait montré combien l’esprit militaire aux États-Unis se ressent des libres et familières allures propres aux mœurs américaines. Chefs et soldats semblent ne former qu’une seule famille. En dehors des troupes fédérales, d’ailleurs