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dernes ont compliqué ou plutôt complété la mission purement scientifique de leurs devanciers par l’étude attentive des ressources économiques et commerciales que les régions encore inexplorées peuvent offrir à la population surabondante et à l’industrie du vieux monde. Ils s’inspirent de la passion qui absorbe notre siècle, ils sont à la recherche de ce qui peut être utile : aussi les voit-on principalement encouragés et honorés par les nations industrielles. On se souvient de l’accueil que l’Angleterre a fait récemment au docteur Livingstone : certes le courageux explorateur de l’Afrique australe rapportait à ses compatriotes de curieuses relations sur un pays inconnu; voyageur, il avait bravé bien des périls; missionnaire du christianisme, il avait accompli l’œuvre la plus méritoire à laquelle puisse s’élever le dévouement religieux. Tout cela pourtant n’eût point suffi pour exciter à un tel degré l’attention et l’intérêt de l’Angleterre. Ce qui a fait le succès, la grande popularité de M. Livingstone, c’est qu’il a signalé une contrée d’où les manufactures de Manchester pourront un jour tirer des approvisionnemens de coton, et des peuplades qui pourront être accessibles non pas seulement à la civilisation, mais encore à la consommation des calicots; c’est qu’en même temps il a tracé la route à suivre pour pénétrer au milieu de cette contrée et de ces peuplades. La découverte probable d’une matière première et d’une couche de consommateurs, voilà ce qui a excité l’enthousiasme du peuple anglais. Cet enthousiasme paraîtra sans doute peu poétique, mais il n’en est pas moins légitime. Il indique aux voyageurs quel doit être désormais le but de leurs explorations. Il ne leur interdit pas de rencontrer des aventures et de les raconter, de recueillir des observations scientifiques, de récolter des plantes, de piquer des insectes, et de mériter ainsi les suffrages de l’Institut; mais il leur conseille de s’attacher par-dessus tout à l’étude des faits qui peuvent servir la grande cause du travail en provoquant la découverte et l’échange des produits utiles.

Ces réflexions me sont inspirées par la lecture d’une relation de voyage dans l’Amérique du Sud, au Pérou et en Bolivie. Accompli par MM. Grandidier, qui ont fraternellement associé leur fortune et leurs loisirs de jeunesse dans cette rude entreprise, le voyage a été raconté par l’un d’eux, M. Ernest Grandidier, dans un livre où respire ce sentiment, cette passion de l’utile qui doit animer les explorateurs au temps où nous sommes. Un court chapitre suffit pour décrire Lima et les Liméniennes, qui ont défrayé tant de récits de voyages. Nous sommes entraînés sans retard par-delà le seuil où s’arrêtent les touristes vulgaires, et nous pénétrons au cœur de la région américaine, dans les régions du Cuzco, où se retrouvent enfouis sous les ruines les souvenirs des Incas. Ces contrées, autrefois riches et populeuses, sont aujourd’hui misérables et désertes. La conquête espagnole leur a été fatale, et depuis l’indépendance le Pérou ne s’est point relevé : une population de moins de deux millions d’âmes végète sur un vaste territoire qui renferme de fertiles plaines, des mines d’or, de larges fleuves, toutes les ressources dont les contrées tropicales ont été si libéralement dotées par la Providence. M. Grandidier expose rapidement les causes multiples de la décadence dans laquelle est tombé le Pérou. Ses observations, qui pourraient