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arrière sur les buttes de Rossomme. «De l’infanterie! répond Napoléon à Heymès avec humeur; où voulez-vous que j’en prenne? Voulez-vous que j’en fasse? » Heymès, vieux soldat accoutumé à tous les mécomptes de la guerre, vit bien qu’il était trop tôt pour se réjouir. Il se hâte de porter la réponse de l’empereur au maréchal.

À cette nouvelle, Ney prend son parti; c’est celui qui lui coûte le plus : il fait sonner le ralliement. Nos escadrons haletans redescendent au pas une partie de la pente. Souvent ils s’arrêtent, et les hommes et les chevaux reprennent haleine sous la mitraille. Ney les ramène dans les vastes bas-fonds de champs de seigle, à l’ouest de la Haie-Sainte. Il espère qu’ils trouveront là un abri dans un pli du terrain; mais cet endroit, comme tous les autres, reste ouvert au feu de l’ennemi.

Les artilleurs anglais, sortis des carrés, se sont déjà élancés vers leurs pièces. Les carrés se sont rompus, ils se sont déployés en ligne au bord de l’escarpement, et maintenant soixante bouches à feu, soutenues de la mousqueterie de toute la ligne anglaise, écharpent dans les bas-fonds la cavalerie française, serrée en masse, que l’épuisement, les blessures des hommes, des chevaux, retenaient immobile autant que la volonté du chef. Se retirer plus loin est impossible sans jeter l’ébranlement, peut-être le découragement dans toute l’armée; rester à la même place ne se peut davantage.

Indigné de voir cette cavalerie héroïque, victorieuse, se fondre de loin inutilement et sans gloire, Ney se décide à la jeter de nouveau en avant dans le cratère ouvert au sommet du plateau; mais il se fera suivre de la réserve de Kellermann, que Napoléon lui envoie pour soutenir cette nouvelle attaque : sept escadrons de dragons, onze de cuirassiers, six de carabiniers. Même la brigade de grenadiers à cheval, tenue un moment en réserve, suivra la charge. Pas un escadron, pas un homme ne restera en arrière. On s’était déjà ébranlé, lorsque Ney aperçoit dans la plaine la brigade de carabiniers. Il court à elle, il lui reproche son inaction, il lui ordonne de se précipiter sur des carrés anglais placés en échelon sur la pente, près du bois d’Hougoumont, et qui prenaient les colonnes en écharpe. C’était la dernière réserve de 1,000 chevaux sur laquelle Kellermann comptait pour renouveler au besoin le miracle de Marengo. Kellermann s’élance pour l’arrêter; mais il est trop tard, la brigade est déjà engagée.

Trente-sept escadrons nouveaux s’ajoutent aux quarante que Ney a ralliés. Ils forment maintenant dans sa main une seule masse de soixante-dix-sept escadrons; on n’avait pas vu un pareil effort de cavalerie depuis la bataille d’Eylau. Ney prend encore une fois la tête de la charge; il montre de l’épée le chemin du plateau, ayant soin d’incliner davantage vers sa gauche, car à cet endroit la crête