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contrions lourdement chargés de bois enlevé à la célèbre pineta. Cette forêt, qui ceint Ravenne du côté de la mer et se prolonge sur un développement de vingt-cinq milles, est la richesse de la ville et la ressource des pauvres. De longs et pesans fagots sont maintenus obliques sur la tête et le cou même des plus jeunes filles à l’aide d’une forte et longue branche qu’elles y tiennent implantée, et dont elles se servent pour alléger, pour déplacer leur fardeau, pour le soutenir en équilibre en prenant la terre pour point d’appui lorsqu’elles veulent s’arrêter et respirer un moment. Cette industrie pénible et rustique peuple et anime tous les chemins qui unissent la ville à sa ceinture de verts parasols. Tout en regardant la démarche laborieuse et légère quelquefois de ces porteuses de bois qu’on rencontre à chaque pas, on se trouve près d’une grosse tour qui s’élève dans une prairie à la gauche du chemin : c’est le tombeau de Théodoric. Il est dit que le roi goth en avait conçu l’idée en voyant à Rome le tombeau d’Adrien, aujourd’hui le château Saint-Ange. Les dimensions au moins sont fort différentes. Dans sa plus grande largeur, ce monument ne mesure pas 15 mètres. Sur une base décagonale s’élève en retraite une tour ronde, couronnée d’un dôme monolithe très surbaissé. Dans l’intérieur en forme de croix, un piédestal encore existant portait, dit-on, l’urne de porphyre qui renfermait les cendres du vainqueur d’Odoacre et du meurtrier de Boëce. C’est une forte et lourde bâtisse, mais assez imposante, et qui répond bien à l’idée de solidité impérissable qui semblait guider les anciens dans la construction des tombeaux. Il faudrait déblayer celui-ci pour lui rendre toute sa valeur. Tel qu’il est, c’est un monument qui tient bien sa place dans ce musée naturel que nous offre Ravenne.

Ces antiquités ont un attrait si puissant qu’il faut un certain effort pour s’en détacher et accorder un regard à la Ravenne des temps modernes. C’est peut-être la seule ville d’Italie où l’on se sente porté à peu regarder les tableaux. Il y a cependant une académie des beaux-arts à laquelle est jointe une bonne école. Là on peut remarquer deux Christ du Guide, dont un de profil vraiment expressif, puis un troisième que Daniel de Volterre a copié d’un croquis de Michel-Ange, un jeune apôtre par Tiarini, un Saint Sébastien par Romanelli, et enfin de bons tableaux de Luca Longhi. Une ville d’Italie a presque toujours un peintre à elle, qui est né ou qui a vécu dans ses murs, qu’elle estime, qu’elle célèbre, dont elle montre les ouvrages avec complaisance, et chez elle au moins elle les fait à bon droit admirer. Tels sont Tiarini à Bologne, le Moreto à Brescia, Beccafumi à Sienne, Longhi à Ravenne. Celui de ses ouvrages qui m’a le plus frappé est une Noce de Cana à fresque, pla-