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monture, disparut sous la glace de la mare. Kasper avait rechargé son arme, mais déjà les Cosaques avaient bondi sur leurs chevaux et partaient sur la pente du Hartz, se suivant l’un l’autre à la file comme des chevreuils et criant d’une voix sauvage : Hourra ! hourra ! Cette fuite ne fut qu’une vision ; au moment où Kasper épaulait pour la seconde fois, la queue du dernier cheval disparaissait dans le taillis.

Le cheval du Cosaque mort restait près de l’eau, retenu par une circonstance bizarre ; son maître, la tête dans la vase jusqu’à mi-corps, avait encore le pied à l’étrier. Materne sur son rocher écouta, puis il dit d’un ton joyeux : — Ils sont partis !… Eh bien ! allons voir. — Tous trois descendirent vers le cadavre du Cosaque. — Il faut l’emporter, dirent-ils, cela fera du bien aux camarades. Les chiens qui n’ont pas senti la peau de la bête ne sont jamais bien dressés.

Alors ils repêchèrent le Cosaque dans la vase, et, l’ayant posé en travers du cheval, ils se mirent à grimper la côte du Donon par un sentier tellement rapide que Materne répéta plus de cent fois : Le cheval ne peut passer là… Mais le cheval, avec sa longue échine de chèvre, passait plus facilement qu’eux ; c’est pourquoi le vieux chasseur finit par dire : Ces Cosaques ont de fameux chevaux. Si je deviens tout à fait vieux, je garderai celui-ci pour aller au chevreuil. Oui, nous avons un fameux cheval, garçons ; avec son air de vache, il vaut un cheval de roulier.

De temps en temps il faisait aussi ses réflexions sur le Cosaque :

— Quelle drôle de figure, hein ? un nez rond et un front comme une boîte à fromage. Il y a pourtant de drôles d’hommes dans le monde. Tu l’as bien pris, Kasper, juste au milieu de la poitrine, et regarde, la balle est sortie par le dos. De la fameuse poudre ! Divès a toujours de la bonne marchandise.

Vers six heures, ils entendirent le premier cri de leurs sentinelles : — Qui vive ?

— France ! répondit Materne en s’avançant.

Tout le monde accourut à leur rencontre, et l’on s’empressa autour du Cosaque et du cheval. On étendit le cadavre près du feu. Sa figure, d’un jaune rance, avait des reflets bizarres aux rayons de la flamme. Le docteur Lorquin, l’ayant regardé, dit : — C’est un bel échantillon de la race tatare ; si j’avais le temps, je le ferais mitonner dans un bain de chaux, pour me procurer un squelette de cette famille.

Puis, s’agenouillant et lui ouvrant sa longue souquenille : — La balle a traversé le péricarde, ce qui produit à peu près l’effet d’un anévrisme qui crève.

Les autres gardaient le silence. Kasper, la main appuyée sur le