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Hullin dit encore à Frantz et à Kasper de faire allumer de grands feux de bivac pour la nuit, à Marc de donner de l’avoine à ses chevaux, pour aller sans retard chercher des munitions, et les voyant s’éloigner, il entra dans la métairie.


XIV.

Au bout de l’allée sombre était la cour de la ferme, où l’on descendait par cinq ou six marches usées. À droite s’élevaient le grenier et le pressoir, à gauche les écuries et le colombier, dont le pignon se découpait en noir sur le ciel obscur et nuageux ; enfin, tout en face de la porte, se trouvait la buanderie. Aucun bruit du dehors n’arrivait là. Hullin, après tant de scènes tumultueuses, fut saisi de ce profond silence. Il regarda les bottes de paille qui pendaient entre les poutres de la grange jusque sous le toit, les herses, les charrues, les charrettes enfouies dans l’ombre des hangars, avec un sentiment de calme et de bien-être indéfinissable. Un coq grasseyait tout bas au milieu de ses poules endormies le long du mur. Un gros chat passa comme l’éclair et disparut dans le trou de la cave. Hullin croyait sortir d’un rêve. Après quelques instans de cette contemplation silencieuse, il se dirigea lentement vers la buanderie, dont les trois fenêtres brillaient au milieu des ténèbres et où l’on préparait la nourriture des partisans. Maître Jean-Claude entendait la voix fraîche de Louise donner des ordres d’un petit ton résolu qui l’étonnait. — Allons, allons, Katel, dépêchons-nous, le moment du souper approche… Doivent-ils avoir faim, nos gens ! Depuis six heures du matin, n’avoir rien mangé, et toujours se battre !… Voyons, remuez-vous… Du sel, du poivre…

Le cœur de Jean-Claude sautillait à cette voix. Il ne put s’empêcher de regarder une minute à la fenêtre avant d’entrer. La cuisine était grande, mais assez basse et blanchie à la chaux. Un grand feu de hêtre pétillait sur l’âtre, et roulait ses spirales dorées autour des flancs noirs d’une immense marmite. Le manteau de la cheminée, fort haut et peu large, suffisait à peine aux flots de fumée qui s’élevaient de l’âtre. Sur ce fond ardent se dessinait le charmant profil de Louise, la figure enluminée des plus vives couleurs, vêtue d’un petit corsage rouge, qui laissait à découvert ses rondes épaules et son cou gracieux. Elle était là dans tout le feu de l’action, allant, venant, goûtant aux sauces avec un petit air capable, dégustant le bouillon, approuvant, critiquant. — Encore un peu de sel, encore ceci, encore cela. Lesselé, aurez-vous bientôt fini de plumer notre grand coq maigre ?… De ce train nous n’arriverons jamais.