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Niemcewicz a laissé sur ce temps n’a point vu le jour encore; le prince Adam Czartoriski détache seulement les extraits de quelques lettres qui éclairent cette épineuse mission et le rôle de l’Angleterre au milieu de ces événemens.

Les difficultés étaient grandes. D’abord Niemcewicz se trouvait dans un monde presque entièrement renouvelé depuis sa jeunesse. Il le disait lui-même avec un accent de plainte secrète : « Mes anciennes connaissances, Fox, Sheridan, sont malheureusement morts; je ne connais plus personne ici... » Pourtant il trouvait sans effort les amitiés les plus hautes : il se liait avec le frère du roi, le duc de Sussex, avec lord Grey, avec lord Palmerston; il voyait M. de Talleyrand, qu’il appelait toujours « le renard boiteux. » Après tout, que voulait l’Angleterre? comment voyait-elle cette lutte engagée par une nation? On peut s’en faire une idée par un entretien que Niemcewicz avait avec lord Palmerston le 25 août 1831. « J’ai dit à lord Palmerston, écrit-il au prince Czartoriski, que notre cause est celle de l’Europe, celle de l’humanité, A défaut d’autre mérite de notre part, celui-ci devrait déjà être grand aux yeux des puissances étrangères que nous ayons détruit l’opinion qu’on s’était formée sur la force invincible de la Russie. — Oui, dit lord Palmerston, vous avez fait et vous faites encore des prodiges; nous n’aurions jamais supposé que vous pussiez résister si longtemps. — Cela ne vaut-il pas la peine alors, répliquai-je, de conserver une telle nation? Pourquoi ne feriez-vous pas pour nous ce que vous avez fait pour la Grèce et la Belgique? — Avec vous c’est autre chose, répondit lord Palmerston; la Grèce a lutté pendant cinq ans, la Porte ne pouvait parvenir à la dompter. Notre commerce souffrait beaucoup des corsaires. — Mais le choléra est bien plus terrible que les corsaires, et il s’avance avec les Russes. — Ah! si vous remportiez une victoire décisive, cela pourrait changer l’aspect des affaires. Quant aux Belges, c’est le roi des Pays-Bas lui-même qui nous a invoqués comme garans des traités de Vienne ; nous avions ainsi le droit de nous y mêler, tandis que Nicolas ne fait pas appel à notre médiation. — Ainsi, si Varsovie succombait, vous nous abandonneriez? — Jamais, répondit-il, nous ne permettrons qu’on touche à un cheveu des traités de Vienne, et nous vous appuierons énergiquement. — Mais il ne s’agit pas de traités maintenant pour nous : il s’agit d’indépendance et d’une dynastie, et cette dynastie, nous l’accepterions volontiers des mains de l’Angleterre. — Lord Palmerston se tut; mais son visage trahit une visible satisfaction... » Et Niemcewicz finit ainsi le récit de cet entretien peu encourageant : « En un mot, tout notre espoir est en Dieu et dans une bonne victoire! »

La victoire malheureusement ne venait pas. Cette guerre de Pologne n’était qu’une suite de désespoirs héroïques entrecoupés de