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irritation contre les choses, les raisons qui rendent la souveraineté politique des papes incompatible avec les sociétés modernes.

Nous ne serons pas démenti, si nous avançons que les peuples catholiques de nos jours ont adopté un ensemble d’institutions civiles et politiques qui favorisent dans toutes les branches de l’activité humaine les diverses applications de la liberté. Tous assurément n’apportent point la même ardeur, la même intelligence, la même logique et le même bonheur dans l’application des principes libéraux ; tous cependant, poussés par le même souffle, plus ou moins avancés sur la même voie, marchent au même but. L’égalité devant la loi, la liberté de conscience, la liberté de discussion, la liberté de la presse, la liberté d’enseignement, la participation des peuples au gouvernement par le système représentatif, sont les lois politiques de la civilisation moderne. Nous le répétons, ces diverses applications de la liberté n’ont pas toutes et partout obtenu le même succès et les mêmes garanties de solidité. Il est des pays catholiques où telle forme de liberté est encore exclue ou combattue, tandis que d’autres garanties libérales y sont indestructiblement fondées. Ces différences accidentelles ne sont que des questions de temps et de lieu. À considérer les choses de haut et en masse, il est visible que le monde moderne appartient à la liberté, que la liberté est la condition uniforme de son organisation et de son développement ; voilà un fait incontestable. Un autre fait n’est pas moins certain, c’est que ces conditions de la civilisation moderne sont repoussées, niées, condamnées par la papauté investie de la souveraineté temporelle.

L’allocution du souverain pontife du 18 mars 1861 ne laisse subsister aucun doute sur l’existence de cet antagonisme radical, et dispense d’en rechercher la démonstration détaillée. La liberté de conscience a été condamnée par Grégoire XVI, dans l’encyclique tristement célèbre de 1832, en des termes qui ne laissent aucune place à l’équivoque. Le pape Pie IX l’a condamnée aussi à plusieurs reprises, et notamment en 1857. La liberté de penser est aux yeux des papes l’essence même de l’hérésie. La liberté de la presse et la liberté de discussion ont été dans les mêmes encycliques frappées des mêmes foudres. L’égalité devant la loi est repoussée par les lois mêmes de l’église : les canons prononcent que les prêtres ne peuvent être jugés que par des prêtres et revendiquent pour les simples tonsurés la juridiction ecclésiastique. Dans le fameux concordat conclu par le pape Pie IX avec l’Autriche, ce n’est qu’à titre de privilège que l’empereur François-Joseph et ses successeurs obtiennent, et encore sous certaines conditions, la faculté d’appliquer aux ecclésiastiques la loi commune du pays. La liberté d’ense3gnement est niée par la papauté, qui, en vertu de l’ite et docete de l’Évangile, ne reconnaît